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Alice Mazeaud : les rouages de la démocratie participative

Alice Mazeaud : les rouages de la démocratie participative

Maître de conférences en science politique à l’Université de La Rochelle, Alice Mazeaud s’intéresse à la démocratie participative et à l’ingénierie de la participation. Elle porte une attention particulière à la vulgarisation de ses sujets d’étude, qu’elle met en lumière au travers des divers articles qu’elle a publié. Portrait


Entretien réalisé par Samirah Tsitohaina, stagiaire au Forum urbain en 2021.

Quel est votre parcours ?

J’ai suivi une formation en droit à l’Université de La Rochelle. Ensuite, j’ai réalisé un DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies, niveau master) en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où j'ai eu l'occasion de découvrir la recherche et de me former à ses outils. Mon mémoire portait alors sur le débat national au sujet de l’avenir de l’école en 2004. J’ai été amenée par la suite à approfondir ma réflexion sur les questions de démocratie participative dans le cadre de ma recherche doctorale. J’ai soutenu ma thèse en 2010 et depuis 2014, je suis enseignante en sociologie de l’action publique à l’Université de La Rochelle, chercheuse au laboratoire LIENSS (Littoral Environnement Sociétés) et suis également rattachée au Centre Emile Durkheim (CED).

Qu'est-ce que la démocratie participative ? Comment intervient-elle dans la construction des politiques publiques ?

Pour le dire simplement, la démocratie participative désigne les procédures qui visent à renforcer la participation des citoyens aux processus de décisions publiques dans l’intervalle électorale. Depuis une vingtaine d’années, ces dispositifs participatifs se multiplient, notamment au niveau local. Mais la démocratie participative a une place assez paradoxale : d’un côté, c’est devenu une thématique très à la mode, au sein des collectivités territoriales, et même récemment de l’Etat. On observe donc une institutionnalisation très forte de la démocratie participative. Mais de l’autre, ces dispositifs restent encore largement tenus à l’écart des processus décisionnels. Souvent, ils ont assez peu de portée et d’effets sur les politiques publiques. En somme, on pourrait dire que ces dispositifs sont plutôt des « forums participatifs », qui se sont développés en parallèle des arènes décisionnelles où se conçoivent les politiques publiques.

Ces initiatives ont-elles permis de renforcer la prise en compte des voix des citoyens ?

L’augmentation du nombre de dispositifs participatifs n’a clairement pas répondu à la critique sur le fonctionnement démocratique. On peut constater qu’en dépit de l’augmentation du nombre des dispositifs participatifs, la confiance des citoyens envers les institutions ne s’est pas améliorée. Ces dispositifs participatifs peuvent même être décourageants pour ceux qui s’y engagent, parce que les citoyens y investissent du temps, mais ils ne parviennent pas toujours à influencer la décision finale d’une politique publique. Ils peuvent avoir le sentiment d’avoir perdu leur temps, ou parfois même d’avoir été instrumentalisés. Dès lors, ces dispositifs supposés renforcer la démocratie peuvent avoir l’effet inverse en nourrissant la défiance.

Comment vos travaux s'inscrivent-ils dans la recherche urbaine ?

Mes travaux sont fondamentalement liés aux politiques urbaines car c’est d’abord dans les villes, notamment sur les enjeux liés aux aménagements urbains qu’ont été développés les dispositifs participatifs. Et en analysant la mise en œuvre de ces processus participatifs, tels qu’ils sont et non tels que les entrepreneurs les conçoivent et les valorisent, on contribue à la connaissance sur la fabrique des politiques urbaines. Et, éclairer ainsi les ambivalences et les contradictions du tournant participatif de l’action publique urbaine, est utile je crois aux professionnels de l’urbain.

Quelle place accordez-vous à la valorisation de vos travaux dans votre travail ?

La valorisation scientifique fait partie intégrante du travail de chercheur. Les praticiens n’ont pas le temps de lire de longs articles. Ils ont souvent besoin de deux choses assez différentes : des retours de terrain très opérationnels, sur l’usage d’un outil de participation par exemple, ou des prises de position, des analyses critiques sur une question. Par exemple, avec mes travaux et ceux de mes collègues, on a démontré que la participation citoyenne est devenue un marché, et que plus de participation ne veut pas dire plus de démocratie. En cela, la valorisation scientifique contribue à nourrir le débat public, en montrant des points aveugles ou des effets pervers.

Que représente le Forum urbain pour vous ?

C’est un espace intéressant de dialogue et de débat sur les enjeux urbains. Il permet d’avoir des temps de rencontres où les acteurs ont la possibilité de trouver des ressources, de quoi se nourrir et de réfléchir à des sujets importants pour les espaces urbains et de les mettre en débat.
J’accompagne par exemple le projet SCIVIQ porté par le Forum urbain, qui articule recherche et action. Ce qui m’a semblé intéressant, c’est justement de pouvoir contribuer en tant que chercheure à mettre en lumière ce qui s’était joué dans les quartiers populaires pendant la crise sanitaire. C’est un projet qui a une valeur à la fois scientifique, mais aussi politique. Mon rôle est de piloter le terrain rochelais avec
Anne-Laure Legendre qui mène l’enquête dans le quartier de Villeneuves-les-Salines, en lien avec les collègues à Bordeaux qui enquêtent sur deux quartiers de Lormont. Dans le cadre du comité scientifique, on réfléchit à l’objet de l’enquête, à la méthode, on identifie les partenaires clefs, etc. En parallèle, les chargées de l’enquête Jessica Brandler et Anne-Laure Legendre ont des réunions plus régulières, avec un travail de croisement de données et de réflexion pour essayer de mettre en commun les résultats de l’enquête, voir ce qu’on peut en retirer, sans tomber dans la comparaison et réduire à néant les singularités territoriales.

Quels seraient les difficultés et avantages de votre métier de chercheur ?

Ce qui est le plus intéressant et stimulant dans mon travail, c’est d’avoir le loisir de pouvoir se poser des questions et d’avoir le temps de chercher des réponses pour mieux comprendre le monde social et le fonctionnement politique. Ce qui est plus difficile, c’est que la sociologie de l’action publique sur les objets que j’étudie, à savoir la démocratie participative, peut avoir un côté « déceptif ». Regarder le monde tel qu’il est, n’est pas toujours enthousiasmant ! On voit plus facilement les problèmes, on a plus de mal à voir les solutions !

Pouvez-vous nous parler d'autres projets en cours ou à venir ?

En dehors de SCIVIQ, j’ai opéré un petit pas de côté dans mes recherches. Je continue à m’intéresser aux politiques participatives, mais depuis plusieurs années, je m’intéresse aux politiques environnementales et aux enjeux de transition écologique. Je cherche à savoir à quelles conditions le travail politique peut contribuer à faire évoluer la société en lien avec les enjeux environnementaux. Je contribue à ce titre au projet AcclimaTerra, aux côtés de mes collègues Andy Smith (Sciences Po Bordeaux / Centre Emile Durkheim), Daniel Compagnon (Sciences Po Bordeaux / Centre Emile Durkheim) et Camille Maze chercheure (laboratoire LIENSs).


Quelques travaux disponibles en ligne
:
• [article] « La démocratie participative: une professionnalisation sans démocratisation », Silomag, Décembre 2019.
• [article] « De la cause au marché de la démocratie participative » (avec Magalie Nonjon), Agone, vol. 56, no. 1, pp. 135-152, 2015.

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