[RETOUR SUR] La colère des quartiers populaires
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Le 15 mai 2025, le Forum urbain a organisé une table ronde à la salle Son-Tay à Bordeaux autour de l’ouvrage La colère des quartiers populaires de Julien Talpin, Sociologue et Directeur de recherche au CNRS, en présence de Thierry Oblet, Maître de conférences en sociologie à l'Université de Bordeaux. et Eddy Durteste, Coordinateur Nouvelle Aquitaine, Les Déterminés. Animée par Marine Luce, Doctorante en science politique au Centre Émile Durkheim, cette rencontre a réuni 80 personnes venues interroger les conditions d’expression de la colère (politique) dans les quartiers populaires.
Une enquête immersive sur les formes ordinaires de politisation
©Rencontre 15 mai 2025/Forum urbain
Julien Talpin a ouvert la rencontre par une présentation de son enquête ethnographique, menée pendant dix ans à Roubaix, "capitale française de l’abstention". Il y analyse les ressorts de la démobilisation politique des classes populaires. Une explication fréquemment avancée est que cette résignation serait à la source de la dépolitisation des classes populaires, mais ce n’est pas toujours ce que l’on observe sur le terrain : il existe des formes de politisation ordinaire liée aux questions de racisme et de discrimination. Ces épreuves individuelles de discrimination finissent, à force d’être partagées, par constituer une expérience collective.
Mais cette colère peine à trouver un débouché politique : la question de la discrimination constitue un "angle mort" du programme des partis politiques. Trois facteurs alimentent ce phénomène. D’abord, une impuissance politique croissante à répondre aux attentes des classes populaires (accès aux logements sociaux ou aux emplois municipaux), qui crée un sentiment de résignation ("la politique, ça ne sert à rien"). Ensuite, des répertoires d’action désajustés : en France, les luttes anti-discrimination passent plus par la réflexion que par l’action. Enfin, une sorte de "répression à bas bruit", le militantisme antiraciste étant souvent perçu comme une menace par les acteurs politiques – d’où la suppression de subventions pour les acteurs trop critiques, voire leur disqualification en tant que séparatistes ou faisant le jeu du communautarisme, quand ce n’est pas celui de l’islamisme… La situation est donc problématique : l’exclusion croissante de populations de la participation politique se combine à un sentiment d’injustice et de délaissement. Quelles sont les solutions que l’on peut apporter ?
De la politique de la ville au "community organizing"
©Rencontre 15 mai 2025/Forum urbain
Dans la seconde partie de la table ronde, Thierry Oblet et Eddy Durteste tentent de répondre à cette question. Tout d'abord, Thierry Oblet a souligné l’histoire de la participation politique de ces populations, particulièrement forte à la fin du XX° siècle, qui avait produit une réponse des pouvoirs publics avec la création de la politique de la ville. Mais peu à peu, cette politique de la ville a changé d’orientation, se focalisant davantage sur la question du logement et de la réhabilitation des grands ensembles que sur celle de l’animation du lien social ou de l’intégration sociale. Venant des Etats-Unis, le type de solution apportées aujourd’hui serait plus individuelle que collective, avec le succès du concept de l’agency, c’est-à-dire la capacité individuelle à s'approprier le pouvoir et à s'en servir pour faire valoir ses droits.
"Croyez en vous", tel serait le message qu’Eddy Durteste cherche à faire passer auprès des habitant·e·s des quartiers populaires. Retraçant son parcours, M. Durteste montre bien que la colère fut un carburant essentiel pour construire son engagement en tant que "community organizer". Les destins s’écrivent au singulier, et les cas sont nombreux de réussite ordinaire : " ni Zidane ni Tapie " certes, mais d’innombrables récits d’intégration achevée. Entre ces deux pôles, descendant et collectif comme la politique de la ville, émanant du bas et individuel comme l’agency, le panel de solutions reste ouvert pour briser la résignation et combattre les discriminations.
Colère, espoir, engagement
©Rencontre 15 mai 2025/Forum urbain
Entre politiques publiques collectives et dynamiques d’empowerment individuel, la discussion a mis en lumière la diversité des formes d’engagement dans les quartiers populaires. Elle a aussi souligné l’importance d’une écoute réelle de ces colères, qui ne sont pas des refus du politique, mais des appels à une autre manière de faire de la politique.
Merci à nos intervenant·es pour leurs contributions passionnantes, et à toutes les personnes présentes pour avoir fait de cette soirée un moment fort de réflexion collective.
📖 L’ouvrage qui a nourri cette rencontre : La colère des quartiers populaires de Julien Talpin
Un article de Guillaume Pouyanne & Océane Lecomte