Petit-déj POPSU #1 : La métropole coopérative
Le 8 mars dernier, l’équipe de recherche de l’axe 1 qui s'intéresse aux coopérations autour des ressources présentait ses travaux afin d’ouvrir la discussion avec les services de Bordeaux Métropole, c'est-à-dire ceux-là même qui mettent en œuvre au quotidien les politiques étudiées. S’il manquait les croissants et le café chaud -la visioconférence s’imposant dans le contexte actuel-, les échanges et la curiosité étaient bien au rendez-vous !
Crédit photo : agence 2 degrés
La Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (POPSU) partage avec le Forum urbain l’ambition de mettre chercheurs et praticiens en dialogue sur les questions de la ville, de croiser savoirs scientifiques et expertise opérationnelle.
Dans ce cadre, le programme de recherche partenariale POPSU Métropoles, met au travail depuis 2018 des chercheurs en sociologie, architecture, économie et science politique, d'une part, et des référents dans les services concernés de la métropole d'autre part, pour interroger les relations d'interdépendance qui existent et se développent entre métropoles et territoires voisins. Le Forum urbain en assure la coordination à Bordeaux.
Le programme de recherche s'intéresse au rapport de la métropole et des "autres". Le sujet est abordé de différentes manières par les chercheurs des différents axes. Les 8 chercheurs de l'axe 1[1] ont choisi d’interroger les coopérations sous l’angle de la gestion des ressources, notamment l’eau et l’alimentation[2].
> Lire la note de cadrage de l'axe 1
Révéler ce qui s'échange entre les territoires et étudier les représentations
Laura Brown et Fabien Reix, directeurs du Cahier POPSU en cours de publication, ont d’abord partagé quelques enseignements de leur travail de cadrage problématique réalisé entre 2018 et 2020. Le sujet de la coopération inter-territoriale est sensible dans un contexte où l’équilibre entre le développement économique des territoires métropolitains du centre et des périphéries et la préservation des ressources qui participent à leur attractivité semble de plus en plus mise à l’épreuve.
Qu’est-ce qui oriente les territoires à partager une ou des ressources ? Quels récits métropolitains s’élaborent, comment ces sujets sont rendus publics dans les médias, et discutés en coulisses ? Quelles sont les représentations de la coopération inter-territoriale des acteurs locaux ? Telles sont les questions qui ont guidé la deuxième phase de l’étude portant sur une investigation autour de la gestion de l’eau potable et de l’alimentation.
L’une de leurs hypothèses est que l’étude de l’eau, ressource en tension sur le territoire, peut constituer un révélateur empirique des tensions locales et des représentations que se font les acteurs métropolitains des territoires périphériques de leurs ressources, et inversement, celles que se font les acteurs périphériques au sujet de la métropole et de leur propre territoire.
Pour l’alimentation, c’est plus sa gouvernance qui interroge les acteurs des territoires et métropolitains, que sa rareté. Des circuits-courts aux projets alimentaires de territoires, les filières sont difficilement décryptables. La logistique alimentaire est un sujet crucial, et en particulier dans un contexte de changement climatique, et de pandémie, avec une tendance à re-territorialiser la production et la distribution. Là où l’eau est perçue comme un « bien commun », l’alimentation est plutôt vue comme une « communauté de biens ».
Retours "bruts" sur une enquête de terrain menée de septembre à octobre 2020
Après la douzaine d’entretiens menée dans la phase exploratoire de l’étude, une trentaine d’entretiens supplémentaires ont été réalisés par Jessica Brandler et Adrien Gonzalez auprès d’élus et d’acteurs métropolitains et de communes du Médoc et du Sud-Gironde aussi divers que des Syndicats mixtes de gestion des ressources en question, des directeurs de services, des adjoints au maire, des sylviculteurs, et des représentants de chambres consulaires.
Jessica Brandler en a présenté les principaux enseignements. Des coopérations existent entre la métropole et le Médoc, puisque les productions maraîchères du Médoc approvisionnent des Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) métropolitaines. Mais, au moment de l’enquête, elles ne bénéficiaient pas de cadrage politique ni institutionnel. Pour certains enquêtés, l’avenir des coopérations réside dans la mise en relation des « acteurs qui peuvent faire système », tel que propose de le faire le Parc Naturel Régional (PNR) Médoc, ce qui permettrait de rééquilibrer le rapport entre la « métropole dévoreuse » et les territoires voisins (un accord cadre était en cours de signature à la fin de l’enquête).
Pour favoriser l’installation et la production agricole, le rôle de la métropole sur l’accès au foncier semble déterminant dans les attentes des actrices et acteurs des territoires enquêtés. L’étude du projet alimentaire territorial (PAT) qui vise à développer un village 100% bio et local à Cussac-Fort-Médoc (grâce à l’installation d’une régie agricole communale) et du domaine de Nodris, projet alimentaire, culturel et solidaire sur la commune de Vertheuil, porté par le Département, révèle le besoin de maîtriser le foncier qui permettra la réussite des PAT.
Enfin, la labellisation du PNR Médoc a créé un nouvel acteur qui est rapidement devenu pivot dans les relations entre la métropole et les collectivités. La chercheuse note un positionnement stratégique similaire au Syndicat mixte d’étude et de gestion de la ressource en eau du Département de la Gironde (SMEGREG)[3] pour la question de l’eau, en tant que « facilitateur » de coopérations inter-territoriales.
Si la question du (non) portage politique apparaît comme un levier, celle de la (non) reconnaissance des acteurs -et notamment des élus- locaux, apparaît tout aussi centrale au moment de négocier des coopérations sur les ressources à fort enjeu que sont l’eau potable et l’alimentation.
L'implication des élus : quand la question des coopérations devient politique
Dans les échanges qui ont suivi la présentation des chercheurs, les agents de Bordeaux métropole[4] ont souligné l’intérêt de se confronter à ces représentations et, plus largement, aux travaux des chercheurs. L’un des constats partagés est celui de l’importance de l’engagement des élus sur ces questions de coopération, souvent considérés, à tort, comme des sujets uniquement techniques.
- Doit-on coopérer pour mieux travailler ? Oui à l’évidence, mais avec qui et à quelle échelle ? s'interroge une responsable de service lors de la réunion
Si toutes et tous s’accordent désormais à considérer les relations partenariales comme nécessaires et vertueuses, cela reste une ambition difficile à concrétiser. Selon l’enjeu et l’action, les échelles diffèreront, et c’est là toute la difficulté de l’exercice. Comment agir sur des périmètres enchevêtrés entre ville, métropole, département et région ? Les services soulignent l’importance de partir de projets de territoires sans s’enfermer dans une échelle préétablie : les parcs naturels régionaux en sont de bons exemples, et participent à mettre autour de la table un ensemble d’acteurs différenciés qui construisent un rapport « plus équilibré » avec la métropole.
Ils ont unanimement souligné le tournant majeur pris par la nouvelle majorité[5] qui a réaffirmé une ambition politique de coopération inter-territoriale et enclenché un dialogue de travail, notamment sur le périmètre girondin.
La question de la « bonne » échelle opérationnelle, si elle existe, pourrait être creusée dans le cadre de cette étude et aider les Directions à définir cette échelle ad hoc en fonction du sujet traité (transports, déchets, eau, etc.) et en dépassant les logiques et maillages administratifs et leurs contraintes.
L’échange matinal s’est terminé sur cette note d’ouverture, promettant de plus amples échanges pour amender la prochaine publication aux éditions Autrement du Cahier POPSU "La métropole coopérative et ses ressources. Récits sur la gestion de l’eau et de l’alimentation à Bordeaux.", et des débats toujours riches entre travaux scientifiques et action publique.
[1] Membres de l'équipe de recherche : Jessica Brandler (docteure en sociologie, chargée de recherche et de coordination du projet SCIVIQ, chercheuse associée au CED), Laura Brown (architecte, docteure en sociologie, enseignante-chercheuse ESPI Bordeaux), Fanny Gerbeaud (architecte, docteure en sociologie et ingénieure de recherche), Benoît Giry (sociologue de l’économie, MCF IEP Rennes), Adrien Gonzalez (architecte-urbaniste praticien), Maxence Mautray (doctorant en sociologie laboratoire PAVE), Thierry Oblet (sociologue, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux), Patrice Godier (sociologue, Maître de conférences à l’ensapBx), Fabien Reix (sociologue, Maître de conférences associé à l’ensapBx).
[2] L’axe 2 s’intéresse aux logiques spatiales de l’inflation immobilière, l’axe 3 porte sur les écosystèmes des start-ups et l’axe 4 sur la métropole et le « populaire ».
[3] Le SMEGREG anime les travaux liés à la mise en œuvre, au suivi et à la révision du SAGE Nappes Profondes de Gironde et assure le secrétariat technique de la Commission Locale de l’Eau. Plus d’informations : https://www.smegreg.org/le-smegreg/missions.html
[4] Services de Bordeaux Métropole partenaires : direction des coopérations territoriales, direction de la nature, direction de l’eau.
[5] Elections municipales et communautaires des 15 mars et 28 juin 2020, donnant lieu à l’élection d’Alain Anziani à la Présidence du Conseil métropolitain, et 62 nouveaux élus métropolitains, soit un renouvellement de près de 60%.