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Université de BordeauxFrance 2023
 

Xavier Guillot : observer autrement la métropolisation

Xavier Guillot : observer autrement la métropolisation

Xavier Guillot enseigne à l'ensapBx et est responsable du réseau scientifique "Espace rural et projet spatial". Son regard critique sur la métropolisation, ainsi que sur la dimension urbano-centrée des recherches ayant trait à la ville, l'amène à se déplacer hors des centres des grandes métropoles afin d'étudier la transition socio-écologique dans les petites villes et les villages. Portrait.


Entretien réalisé par Josselin Boulet, stagiaire au Forum urbain en 2020.

Quel est votre parcours ?

Je suis architecte de formation, diplômé de l’Ecole nationale d’Architecture de Paris-La Villette (ENSAPLV) et de l’Institut français d’urbanisme. Après mon diplôme, j’ai eu plusieurs expériences de terrain, en résidant à l’étranger pendant une quinzaine d’années : au Japon, en Asie du Sud-est et au Moyen-Orient. Pendant cette période, j’ai rédigé ma thèse en urbanisme et aménagement que j’ai soutenue à l’Université Paris VIII qui traitait du rapport entre habitat et mondialisation. C’est en résidant dans ces pays, en y observant le processus d’urbanisation que j’ai identifié les problématiques qui m’animent depuis lors, à savoir l’impasse du processus de métropolisation, ses écueils sociaux et environnementaux. Notre système Terre est limité en termes de ressources naturelles. On est appelé à imaginer d’autres modes d’établissement que celui de la métropolisation qui prédomine aujourd’hui, un modèle qui puise sans compter dans les ressources naturelles, crée de la pauvreté et mine nos écosystèmes. L’enjeu territorial m’est apparu comme un sujet incontournable. La métropolisation a une forme de dette envers les territoires faiblement peuplés par les ressources qu’ils produisent -ressources alimentaires, énergétiques, matérielles, etc- et qui ont permis la montée en puissance de la concentration urbaine. On doit repenser ce système en termes d’équité territoriale.

Qu'est-ce qui vous a attiré vers la recherche ?

Observer le monde en résidant à l’étranger m’a amené à faire un pas de coté par rapport à l’engagement professionnel d’architecte. Une porte s’est ouverte : celle de la réflexion, et donc de la recherche. Cette activité est venue à moi très simplement, comme une évidence. Elle permet d’interroger le monde et d’apporter des réponses avec des outils spécifiques. C’est très stimulant, parfois déstabilisant, car une question en appelle toujours une autre. L’activité de recherche m’a également attiré car elle comporte un prolongement à mes yeux évident : l’enseignement et la transmission. C’est cette double activité qui m’anime au quotidien. Quand j’ai commencé à enseigner à l’Ecole d’architecture de Saint-Etienne au début des années 2000, la réforme concernant la Licence-Master-Doctorat (LMD) venait d’entrer en application avec un fait nouveau en termes de d’activité de recherche : son renforcement par la formation doctorale. Avant les jeunes diplômés en architecture devaient faire une thèse dans une autre discipline universitaire : urbanisme, sociologie, etc. Depuis cette réforme, c’est différent. J’ai saisi ce train-là. Aujourd’hui, j’encadre des thèses en architecture et paysage à l’Ecole Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Bordeaux (ensapBx).

A quels grands enjeux de recherche urbaine vos travaux répondent-ils ?

Je ne crois pas appartenir aux courants dominants de la recherche urbaine, puisque j’essaie de faire valoir d’autres référents que ceux de la ville, de l’urbain et du système métropolitain. D’autres référents spatiaux, sociaux et économiques doivent à mon sens trouver leur place au sein de la recherche en école d’architecture. Historiquement, la ville et l’urbain ont été considérés jusqu’il y a peu de temps encore comme le principal « allié » pour penser l’architecture et l’espace habité, parce que l’urbain et la ville étaient perçus comme le lieu de la modernité et du progrès. J’ai essayé à mon niveau d’y faire valoir la notion d’"espace rural", considéré comme une catégorie peu pertinente. De manière générale, mon travail tend à penser le monde et ses formes d’établissement autrement que dans une perspective « urbano-centrée ». La question territoriale et celle du local y sont centrales.
Mais si on en revient à votre question, le grand enjeu de recherche qui me rapproche de la recherche urbaine est celui de la transition socio-écologique. C’est la raison pour laquelle à mon arrivée à l'ensapBx en 2015, j’ai mis en place un séminaire de master intitulé « Repenser la métropolisation : construire un monde en transition », qui réunit un collectif d’enseignants issus de plusieurs disciplines (architecture, économie, paysage, urbanisme et sociologie).

A quoi ressemble votre quotidien en tant qu'enseignant-chercheur ?

Mon quotidien de chercheur est souvent lié à l’expérience spatiale et humaine des terrains que je visite. Je me déplace hors des grands pôles métropolitains, dans les petites villes et dans les villages. En cela, je ne suis pas un « chercheur de laboratoire ». Je conduis des recherches à partir du terrain et en dialogue avec ses acteurs. Le confinement a apporté dans ce quotidien de la frustration en même temps que de l’apaisement : de la frustration, car il a empêché les déplacements et les enquêtes de terrain ; de l’apaisement, car il a permis de se concentrer sur le travail de rédaction.

Quelles sont jusqu'ici vos plus grandes réussites ou fiertés ?

Je ne sais pas si c’est une réussite ou une fierté. En 2009, j’ai initié la mise en place du réseau de recherche "Espace rural et projet spatial" qui est aujourd’hui habilité par le bureau de la recherche architecturale urbaine et paysagère du Ministère de la culture. Il s’agit d’un réseau qui réunit des enseignants et des chercheurs venant de plusieurs écoles d’architecture et de paysage, mais aussi d’universités et d’écoles d’ingénieur-agronome. Nous sommes animés par la même sensibilité envers le territoire et le même type de questionnement sur le devenir des espaces ruraux. Son objectif est de renouveler les savoirs et l’enseignement du projet dans ces espaces, mais sans nostalgie, en prenant en compte les transformations sociétales de ces trente dernières années en France. De cette dynamique a émergé une collection d’ouvrages que je dirige et qui vise à construire un corpus sur les questions dont nous traitons au sein de ce réseau.

Quels sont vos projets pour l'avenir ?

Élargir le champ d’action de ce réseau à l’international. Ce que nous avons en partie commencé dans le cadre de colloques, et avec l’encadrement de thèses en co-tutelle avec des laboratoires étrangers, comme le laboratoire Habis de l’Université de São Paulo. Ailleurs dans le monde, on voit se développer un intérêt croissant sur ces sujets, mais avec des questions différentes. C’est très intéressant de croiser les regards.
A l’avenir, je pense également poursuivre une réflexion sur l’espace rural dans le contexte métropolitain, que j'ai déjà engagée dans le cadre de la Plateforme d'Observation des Politiques et Stratégies Urbaines (POPSU) Territoires sur la densification de la commune de Saint-Loubès. Cela permet d’aborder la question de la périurbanisation autrement.

Qu'est-ce que représente pour vous le Forum urbain ?

Le Forum urbain a été essentiel dans le cadre de cette récente recherche conduite sur la commune de Saint-Loubès. Il a permis de faire le lien entre les laboratoires PASSAGES et PAVE avec l’implication d'une jeune chercheuse de ce laboratoire, Julie Ambal. Il a également permis de faire le lien avec les acteurs de Saint-Loubès et l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine (a’urba). Le Forum urbain permet de développer un type de recherche qui me parait essentiel dans les disciplines de l’espace et du projet qui sont les miennes : celui de promouvoir des programmes de recherche proches du terrain et en lien avec l’action. En outre, le Forum urbain est un lieu qui permet aux chercheurs de dialoguer, notamment via les rencontres qui sont régulièrement organisées. Ces événements nous permettent de comprendre ce que les autres chercheurs font et d’éventuellement s’y associer.

Quels sont vos loisirs en dehors de vos activités d'enseignant-chercheur ?

Arpenter les territoires. J’aime tout particulièrement le cyclisme. C’est aussi une pratique qui invite à la découverte des territoires et qui interroge notre rapport à l’espace et au temps. C’est un intermédiaire en termes de vitesse entre la marche et la voiture, qui permet de découvrir et de comprendre autrement le territoire.

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