Maxence Mautray : le « zéro déchet » sur le territoire libournais
Forum urbainDoctorant en sociologie au laboratoire PAVE / Centre Emile Durkeim (CED), Maxence Mautray réalise une thèse CIFRE au Syndicat mixte de collecte et de valorisation des déchets du libournais et de la haute Gironde (SMICVAL) qui porte sur leur politique “zéro déchet”. Au-delà de la dimension environnementale, il vient porter un regard socio-économique sur le sujet. Portrait.
Entretien réalisé par Samirah
Tsitohaina, stagiaire au Forum urbain en 2021.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
J’ai commencé mes études par une licence
d’économie à l’Université de Bordeaux. Ça m’avait beaucoup plu, mais je
trouvais qu’il manquait des outils d’analyse de la société et des relations
entre les individus. J’ai donc intégré la 3ème année de licence de
sociologie, pour ensuite poursuivre en master recherche en sciences politiques
et sociologie comparative. Pendant la dernière année de master, j’ai assisté à
une réunion de présentation des résultats intermédiaires du projet bordelais du programme POPSU Métropoles par Fabien Reix , Adrien Gonzalez et Patrice Godier. Elle concernait l’axe de
recherche portant sur le partage des ressources entre la métropole et les
territoires alentours. J’ai alors réalisé un stage au sein de leur équipe pour
aider au traitement des données collectées et pour apporter des éléments à mon
mémoire qui portait sur l’aménagement des territoires en Nouvelle-Aquitaine, en
particulier depuis la loi Notre, qui avec la décentralisation a redessiné les
politiques d’aménagement. Grâce à ce stage, j’ai rencontré Olivier Chadoin, directeur du laboratoire PAVE, qui m’a proposé d’accompagner et
d’encadrer mon projet de thèse. Je réalise donc depuis la fin de l’année 2020
une thèse CIFRE [1] sur la
question des représentations et des pratiques liées aux déchets au SMICVAL à
Libourne dans un territoire rural sujet à de fortes inégalités socioéconomiques.
Pouvez-vous nous expliquer votre sujet de recherche ?
Tout d’abord,
il faut savoir que le SMICVAL gère la collecte et l’orientation des déchets
vers la bonne filière, ainsi que leur recyclage au centre de tri sur 138 communes. Ils ont une approche
très technique de la question des déchets. Or, les enjeux sont multiples. En
France, il y a différentes politiques de plus en plus ambitieuses sur le
traitement des déchets, dont la Taxe Générale sur les Activités Polluantes
(TGAP) qui va être multipliée par 4 d’ici 5 ans pour désinciter fortement à
enfouir ou incinérer des déchets. On fait face à un problème économique, social
et environnemental qui pousse à repenser le système avec toutes les variables
présentes. Au SMICVAL, ils ont alors trouvé intéressant de traiter la question
sous l’angle des sciences sociales
afin d’essayer de comprendre la situation pour amener les individus à réduire
leurs déchets et à prendre conscience des possibilités qui existent. Ils ont
lancé une offre de thèse dans différentes disciplines. J’ai donc postulé dans
le domaine de la sociologie en proposant de retenir 3 notions importantes pour
le sujet : les déchets, le territoire et les inégalités. J’ai essayé
d’entrecouper ces notions et de comprendre ce que cela voulait dire pour un
territoire rural avec une population qui fait face à beaucoup de difficultés
économiques que de basculer dans le zéro déchet. J’y traite la question de la
refonte du financement : actuellement, la
gestion des déchets est financée par la Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères
(TEOM) fixée en fonction de la superficie du logement. L’idée à présent est de
transformer cette taxe en une redevance incitative basée sur une part fixe et une
part variable en fonction de la production de déchets du ménage, qui dépendra
de la fréquence de sortie des poubelles. Donc, plus il y aura de bacs ou de poubelles
sorties, plus la redevance du ménage sera élevée, ce qui implique pour
les ménages de repenser leurs modes de collecte et pour les collectivités d’analyser
les inégalités qu’un tel système peut engendrer. On doit donc regarder la
question du pouvoir d’achat des ménages les plus modestes et la place du tri
des déchets dans leur quotidien.
Comment jonglez-vous entre votre casquette de doctorant et celle d'employé au SMICVAL ?
Théoriquement,
je dois passer la moitié de mon temps au laboratoire et l’autre moitié dans
l’entreprise, mais ça ne se découpe pas aussi clairement dans mon emploi du
temps. Au SMICVAL, je travaille le plus souvent sur des travaux de mise en
forme de bases de données. Cela me sert aussi pour la thèse, mais en parallèle,
et comme tout doctorant, je lis beaucoup, fais la synthèse de mes lectures et
définie mon positionnement dans le champ de la sociologie. Au SMICVAL, je suis
intégré au sein de l’équipe de la « Fabrique Zero Waste » qui me font
participer aux réunions et aux ateliers de travail. Cela me permet d’observer
le fonctionnement du syndicat, des personnels techniques sur le terrain et ceux
qui sont plus dans l’administratif. S’il n’y avait pas eu la pandémie de
Covid-19, j’aurai aussi été davantage au contact des usagers mais pour le
moment, ça reste compliqué.
Mettez-vous en pratique le zéro déchet dans votre quotidien ?
Oui, je
m’intéressais à comment on peut mobiliser des connaissances pour ensuite passer
à l’action. Je ne suis pas parfait, mais j’essaie de changer petit à petit des
habitudes néfastes pour l’environnement comme pour la santé, en fabricant mes
produits ménagers de base par exemple. Avant de débuter ma thèse, je n’étais
pas un militant du zéro déchet et je considère ça comme une bonne chose car je
dois garder une certaine distance avec le sujet. Je dois étudier l’essor du
zéro déchet pour comprendre comment on est passé d’un engouement des
associations pour le sujet, voire même d’un militantisme pour certaines d’entre
elles, à une politique publique mise en œuvre par plusieurs entités publiques, autant que fer de
lance d’une nouvelle politique d’en faire une forme de traitement des déchets.
Plus précisément que pensez-vous des politiques de déchets qui sont peu contraignantes pour les industriels et qui reposent sur la responsabilité des citoyens et consommateurs ?
Il est certain
qu'une réduction globale des déchets passe aussi par une prise de conscience
des entreprises et secteurs industriels, et que les politiques
environnementales doivent aussi les cibler. C'est d'ailleurs un argument
souvent formulé par les usagers. Cependant, le SMICVAL a pour mission de
s'adresser aux usagers en priorité. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur le
rôle des citoyens.
Comment vos travaux s'inscrivent-ils dans la recherche urbaine ? Plus encore dans l'élaboration de projets urbains ?
Il y a une dimension territoriale très forte dans la réflexion autour de la nécessaire refonte de la collecte des déchets qui va être engagée : on a besoin de trouver des solutions différentes en fonction des formes urbaines. Cela touche aussi à des questions d’aménagement puisqu’on se demande comment faire pour avoir des points d’apport volontaire de déchets ménagers qui donnent envie aux usagers d’être utilisés. Il s’agit d’intégrer la collecte des déchets dans le paysage urbain, alors qu’aujourd’hui on a plutôt tendance à cacher ses infrastructures le plus possible.
Je vais également réaliser tout un travail d’observation du SMICVAL Market, sorte de gratuiterie qui fonctionne avec le don d’objets et à la possibilité de les réparer sur place. Ces observations se rapprochent ce que l’on peut faire sur le terrain en sociologie urbaine : analyser les comportements des individus en fonction des dispositifs qu’ils peuvent trouver.
Mes travaux
doctoraux touchent aussi à la question des métabolismes du territoire, c’est-à-dire des
flux entrants et sortants du territoire en termes d’énergies. Bien que je
m’intéresse moins à cette dimension, j’aurai à ma disposition quelques données,
tels que la comptabilité des flux de déchets, de ressources, pour mieux
comprendre comment et pourquoi ils circulent entre les territoires.
Vous êtes mobilisé sur le projet bordelais "Bordeaux, la métropole en partage?" porté par le Forum urbain avec le soutient du programme POPSU Métropoles (PUCA); comment y contribuez-vous ?
L’axe 1 du projet, piloté par Fabien Reix et Laura Brown, chercheurs au laboratoire PAVE, s’intéresse aux coopérations territoriales entre la métropole et ses territoires voisins autour des ressources en eau et en alimentation. Mon rôle à moi, c’est d’apporter une troisième ressource à l’analyse : les déchets. Dernièrement, j’ai participé à la production du cahier POPSU « Bordeaux, la métropole et ses ressources. Récit(s) sur la fabrique des coopérations interterritoriales » (à paraitre au prochain semestre), en réalisant l’analyse de certains entretiens. Je vais également traiter dans ma thèse des collaborations entre les secteurs publics et privés dans le domaine des déchets et de ce que ça induit comme coopération entre la métropole et les territoires alentours.
C’est grâce au
Forum urbain que j’ai découvert ce projet, et plus largement le programme POPSU
Métropoles du PUCA. C’est intéressant de voir comment ils organisent des
évènements et des rencontres entre les différents axes du projet et avec les
acteurs intéressés par les sujets abordés. Le Forum urbain a en quelque sorte
contribué à la réalisation de mon stage, et par la suite de ma thèse.
Quels sont vos loisirs en dehors de votre vie de doctorant ?
J’aime beaucoup
lire ! Il y a un livre que je trouve assez incroyable, c’est le Pendule de Foucault d’Umberto Eco. C’est
un roman qui parle de sciences et connaissances alternatives, d’un peu de
complotisme et de comment ces idées-là se sont développées. Je le trouve très
ancré dans l’actualité et accessible à tous. Il traite le sujet des « fake
news » en profondeur, sans que ça soit pour autant un ouvrage
scientifique.
[1] Convention Industrielle de Formation par
la Recherche, basée sur un partenariat tripartite entre un doctorant, un
laboratoire de recherche et une structure professionnelle.