Jérôme Goze : pratiques et savoirs-faire dans la fabrique de la ville, questionner la question
Crédit photo : Maitetxu EtcheverriaDirecteur général délégué de La Fabrique de Bordeaux Métropole (La Fab) et enseignant à Sciences Po Bordeaux, Jérôme Goze s’intéresse aux questions relatives à l’habitat et à l’emploi sur la métropole bordelaise. A la fois commanditaire et tuteur de projets collectifs science politique / architecture, il porte un fort intérêt pour l’expertise étudiante, notamment dans leur manière de requestionner les pratiques professionnelles et la conception des villes de demain. Portrait.
Entretien réalisé par Samirah Tsitohaina, stagiaire au
Forum urbain en 2021.
Pouvez-vous
nous décrire votre parcours en quelques phrases ?
Au départ, j’ai suivi une formation d’architecte assez classique qui m’a amené
à faire de la maîtrise d’œuvre, avant de me lancer dans l’urbanisme, puis d’intégrer l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) pour compléter ma
formation avec un master 2 recherche orienté sur les questions de territoire, de
paysage et de jardin. J’ai beaucoup travaillé sur des projets de logements, et
notamment sur la réhabilitation de grands ensembles, puis sur des
projets d’infrastructure comme un métro-bus. Je suis ensuite devenu Architecte-Urbaniste d’État, après avoir passé un concours et avoir suivi la formation à l’École nationale
des Ponts et Chaussée, ainsi qu’au Centre des hautes études de Chaillot. Je me
suis alors occupé de risques environnementaux et technologiques, d’aménagement
du territoire, d’environnement, puis d’ingénierie publique pour le compte des
collectivités en région parisienne et dans le nord-ouest de la France. Je suis
devenu directeur adjoint des services de l’Équipement en Gironde, j’ai été
également directeur territorial adjoint de l’Agence nationale pour la
rénovation urbaine (ANRU). J’ai ensuite pris la direction du projet « Opération
Campus » à Bordeaux auprès du Président de l’Université de Bordeaux. Je
suis à présent directeur général délégué de la Fab, la société publique locale La
Fabrique de Bordeaux Métropole.
Pouvez-vous
nous expliquez plus précisément le rôle de La Fab ?
Je mets en œuvre la commande politique de Bordeaux Métropole à travers deux
programmes d’aménagement des territoires. Le premier est le programme « Habiter, s'épanouir - 50 000 logements
accessibles par nature » qui consiste à trouver les conditions
d’opérations d’aménagement ou immobilières favorisant l’accès des ménages au logement social
ou en accession. Le deuxième s’intitule « Travailler et entreprendre dans la métropole ». Il s’agit
de trouver les conditions pour réaliser des opérations immobilières d’entreprises
destinées à héberger des petites et moyennes entreprises (PME), des petites et
moyennes industries (PMI) et des très petites entreprises (TPE) à des prix inférieurs à ceux proposés actuellement sur le marché. L’enjeu ici est bien de
conserver ces structures, créatrices d’activités et d’emplois, sur le
territoire de la métropole, étant donné qu’elles représentent environ 50% des
emplois.
Quel(s)
rapport(s) entretenez-vous avec le monde de la recherche ?
Il y beaucoup de réseaux professionnels dans lesquels la Fab est inscrite, mais
je considère que nos rapports avec la recherche sont encore insuffisants en
l’état. Mon passage à l’Université de Bordeaux m’a beaucoup appris sur la
nécessité de la recherche dans l’exercice de mes fonctions. Je pense qu’il est
primordial et sain de venir réinterroger notre boite à outils conceptuelle en
nous redonnant de la hauteur. Dans mon quotidien, je dois apporter des réponses
opérationnelles à des questions très concrètes : à quelles conditions sociale,
environnementale, technique, financière et administrative peut-on réaliser cette
opération ? Dans quel délai ? Or, nous nous interrogeons beaucoup
également sur ce qu’est la qualité urbaine, architecturale, paysagère et environnementale de ces opérations, ou bien sur toutes les questions de
médiation et de production d’une opération. Sans la recherche et ses questionnements,
nous ne pourrions pas avancer avec l’ensemble de la chaîne des acteurs de la
ville.
Et avec
celui de l’enseignement ?
A Sciences Po Bordeaux et à l’ensapBx, j’accompagne les étudiants des masters
« Stratégies et gouvernances métropolitaines » et « Intelligence
et architecture des territoires » dans les étapes de leur projet. Il s’agit
de se réinterroger avec les étudiants sur des pratiques professionnelles très ancrées ; c’est parfois décapant mais salutaire ! C’est aussi une
autre façon de se confronter aux questionnements actuels sur les manières de
faire la ville, avec des regards et des cultures différents. C’est enfin la
possibilité d’explorer des sujets plus difficiles, parce qu’hors des canons
professionnels. Cette année, je
fais travailler les étudiants sur la
possibilité d’introduire un budget participatif dans une opération d’aménagement.
Les freins, les contraintes et les contresens ne sont pas toujours là où l’on
croit !
Qu’est-ce
que ça vous apporte, que ce soit en tant que tuteur qu’en tant que commanditaire
?
J’aime la manière
dont les étudiants abordent les sujets. Ce n’est pas juste qu’une question de « fraicheur »,
les étudiants ont des préoccupations
différentes de celles de ma génération :
la place de l’habitant dans les processus de décision avec des interrogations sur
l’expertise, sur le rôle des collectivités territoriales et de l’État, sur les
questions de priorité, de genre, etc. Le commanditaire a plus souvent une réponse qu’une
question et l’intérêt des projets collectifs consiste justement à questionner la
question et ouvrir de nouvelles perspectives. Cela
permet de réinterroger les doctrines techniques qui aboutissent à des réponses
d’aménagement identiques sur des situations opérationnelles distinctes.
Comment
l’action publique ou les initiatives citoyennes peuvent-elles être nourries ou
éclairées par les chercheurs ?
Là, je citerais plutôt l’exemple du programme
POPSU Métropoles qui amène une réflexion et une
prospective partagée entre praticiens et chercheurs sur des sujets et des pans
de territoire. Sans doute que les rapports entre les chercheurs et les élus
pourraient être renforcés. La difficulté tout de même à relever, c’est comment
passer de la recherche à l’ingénierie et ce n’est pas si simple parce que le
chercheur va poser des questions alors que l’ingénieur va d'abord chercher des solutions.
Que
représente le Forum urbain pour vous ? Comment il contribue à votre
travail ?
Le Forum urbain est un carrefour pertinent car il crée des zones de frottement
entre le monde des professionnels opérationnels et celui de la recherche. Je
dois connaitre les préoccupations des chercheurs sur la fabrique urbaine car
leurs questionnements nourrissent ma réflexion et me permettent de déboucher
sur des processus testant des réponses possibles. C’est aussi la capacité ou la
possibilité pour moi de faire remonter des terrains de projet sur lesquels nous
butons parce que nous sommes souvent démunis en outils conceptuels. En aménagement,
nous travaillons systématiquement sur des échelles de temps différentes, et nos
cycles peuvent être compatibles avec ceux de la recherche.
Quel
est le plus grand défi de la métropole bordelaise selon vous ?
Le plus grand défi, c’est d’arrêter d’opposer l’environnement à la question
sociale : construire de l’habitat, c’est aussi faire de l’écologie !
Ce n’est pas aller contre, c’est trouver les conditions pour. C’est une
question qui traverse tous les territoires métropolitains actuellement. Je dis
ça parce qu’aujourd’hui il y a 43 000 demandes de logements sociaux sur la
métropole bordelaise et 3 ans et demi d’attente. On ne peut pas se dire
aujourd’hui qu’au nom de l’écologie, on ne construit plus, ça n’a pas de sens
ni pour le territoire, ni pour les futurs habitants ! Après est-ce qu’il
faut construire mieux et pas n’importe où ? Oui, bien sûr !
Quels
sont vos loisirs en dehors de votre profession ?
Je suis judoka depuis longtemps. Les techniques de judo marchent aussi pour l’aménagement !
L’urbanisme, comme le judo, n’est pas qu’un sport de combat, il peut être aussi
dans un registre proche de l’art (martial). Plus simplement, c’est l’idée qu’il
faut toujours utiliser la force de ses partenaires pour se mettre en mouvement
et aller à l’endroit où vous souhaitez aller, avec souplesse, engagement, ténacité
et détermination. Je veux être ceinture noire en urbanisme !
Quelques
travaux disponibles en ligne :
● Le budget participatif dans les opérations d’aménagement, projet collectif commandité par La Fab au Forum urbain en 2021
● La médiation des projets urbain, réinterrogation des outils, commandité en 2019
● La numérisation des activités d’aménagement et de production de logement, commandité en 2017
● La zone d’activité économique du phare à Mérignac, commandité en 2016