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Marché de l'immobilier, ségrégation spatiale : quels liens ?

Comment se forment et évoluent les prix de l'immobilier ? Avec quels effets sur le peuplement des quartiers ? Voici les questions auxquelles une équipe d'économistes tente de répondre dans l'un des axes du projet de recherche partenariale POPSU "Bordeaux, la métropole en partage ?".

Dernière mise à jour dimanche 03 janvier 2021
Marché de l'immobilier, ségrégation spatiale : quels liens ?


Tous trois maîtres de conférences à l'Université de Bordeaux, rattachés au laboratoire GREThA (Groupe de Recherche en Économie Théorique et Appliquée), Guillaume PouyanneFrédéric Gaschet et Aurélie Lalanne mettent en commun leurs compétences complémentaires pour analyser l'évolution des prix de l'immobilier bordelais dans le cadre du projet POPSU Métropoles animé par le Forum urbain. Guillaume Pouyanne, coordinateur de l'étude, répond à nos questions.

Comment en êtes-vous arrivés à travailler sur ce sujet ?

En ce qui me concerne, tout a commencé avec un appel à projets "jeunes chercheurs" de l'agence nationale de la recherche (ANR) dont j'ai été lauréat en 2006. Le projet que j'ai coordonné jusqu'en 2009 s'intitulait "Dynamiques foncières et nouvelles configurations urbaines". Il visait à analyser différentes configurations urbaines à partir des prix de l'immobilier, en interrogeant la prise en compte ou non de la proximité à certaines aménités naturelles ou urbaines dans les prix de l'immobilier et du foncier. Nous nous sommes intéressés, dans le cadre de ce programme de recherche et par la suite, à trois configurations en particulier : la polycentralité (proximité aux centres d'emplois) d'abord, le littoral ensuite, et l'urbain discontinu enfin avec ses aménités liées aux espaces naturels protégés. Cela m'a permis de développer des compétences en matière d'analyse des valeurs foncières et immobilières, tout comme mon collègue Frédéric Gaschet, qui a pris part à ces travaux et a également travaillé sur le sujet de la ségrégation spatiale avec un autre collègue économiste, Aurélien Descamps[1]. Spécialiste des systèmes urbains, Aurélie Lalanne a quant à elle souhaité se joindre à nous sur cette recherche POPSU pour monter en compétence sur l'analyse des valeurs foncières et immobilières.

Quelles sont les hypothèses que vous explorez dans cette recherche ?

Nous nous intéressons ici aux logiques qui président à l'inflation des prix, et aux effets de diffusion d'un quartier à l'autre. Il s'agit surtout de vérifier deux hypothèses intrinsèquement liées : celle d'un renforcement de la gentrification dans un contexte de flambée des prix de l'immobilier à Bordeaux depuis une dizaine d'années, et l'hypothèse selon laquelle l'arrivée de nouveaux habitants venus d'autres villes viendrait perturber le marché immobilier et chasser les bordelais.

Cette thématique de la ségrégation spatiale liée aux prix de l'immobilier est plus que jamais d'actualité à Bordeaux, et a été un sujet central de la récente campagne municipale. Notre recherche se veut donc appliquée : il s'agira d'éclairer les décideurs sur les raisons de ces évolutions afin qu'ils puissent agir en conséquence.

> Voir la note de cadrage de l'axe de recherche "Logiques spatiales de l'inflation immobilière. Le cas de l'agglomération bordelaise"

Comment procédez-vous concrètement ?

Le travail se déroule en trois étapes : une première étape préparatoire consistant en la construction d'un système d'information géographique (SIG) permettant de croiser diverses bases de données en les spatialisant. Nous utilisons principalement la base de données DV3F[2] à laquelle les services de Bordeaux Métropole nous ont récemment donné accès, qui associe des fichiers fiscaux et d'autres, et donne beaucoup de renseignements sur les propriétés, les caractéristiques des acheteurs et des vendeurs. Nous la croisons avec d'autres bases de données plus classiques type IGN, INSEE, pour analyser les logiques de ségrégation spatiale. Les prix de l'immobilier sont un symptôme mais il y d'autres choses à regarder comme par exemple le niveau de revenu des ménages. Recouper plusieurs bases en les spatialisant nous permet de construire des variables spatiales originales : par exemple la proximité d'une station de tramway ou la disponibilité des services dans un rayon donné. La deuxième étape de notre recherche est descriptive : nous construisons ce que nous appelons des "indices composites de ségrégation par quartier", autrement dit des indicateurs. Le principe est d’évaluer le degré de séparation des classes sociales dans les quartiers de la ville. La troisième étape est explicative : il s'agit d'expliquer les indices de ségrégation précédemment identifiés par un modèle économétrique, c'est-à-dire d'expliquer une variable par un ensemble d'autres variables.

Sur quoi cela va-t-il déboucher ?

Tout cela a vocation à se traduire par des cartes qui donneront à voir ces phénomènes de manière simple et explicite. Nous aimerions aussi pouvoir mettre au point une petite animation qui montrerait les évolutions dans le temps, mais il faudra pour cela nous associer d'autres compétences !

Nous espérons surtout que ce travail nous permettra de formuler des préconisations auprès des élus qui sont en charge des politiques immobilières et d'urbanisme. La principale réponse à la pression immobilière a jusqu'ici été de construire pour augmenter l'offre et relâcher la tension du marché, ce qui s'est traduit par des constructions rapides, avec un appui très fort sur les promoteurs privés à qui on a « donné les clés » de la ville. La nouvelle majorité de Bordeaux Métropole va dans une autre direction, avec par exemple la volonté d'expérimenter le plafonnement des loyers, une orientation qui nous semble particulièrement intéressante et que nous pourrions accompagner. Notre recherche s'appuie sur l'observation des évolutions économiques et sociétales très importantes qui ont cours à Bordeaux depuis 10-20 ans, et qui soulèvent des questions de peuplement, avec l'enrichissement de certains et l'appauvrissement d'autres. Nos travaux visent à s'accorder aux préoccupations des populations et des autorités publiques. Ils restent en amont de la décision, mais nous espérons que les élus puissent s'en saisir.

Comment inscrivez-vous votre recherche dans le thématique de "la métropole et les autres" qui est celle du programme POSPU ?

Nos travaux interrogent la notion de « métropole hospitalière » dont il est beaucoup question dans le programme POPSU. Les politiques de métropolisation conduisent à une concentration des richesses dont un effet pervers est la gentrification des centres-villes, désormais réservés à certaines classes sociales. Pour nous, les « autres » sont celles et ceux qui n'y ont pas (ou plus) accès, qui sont privés de leur « droit à la ville » pour reprendre l'expression du sociologue Henri Lefebvre.


[1] Descamps A., Gaschet F., "La contribution des effets de voisinage à la formation des prix du logement. Une évaluation sur l'agglomération bordelaise"Revue économique, 2013/5 Vol. 64, p.883-910.
[2] Base "Demande de Valeurs Foncières" (DVF) enrichie de données foncières complémentaires permettant des analyses plus fines.

 

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