4e atelier national POPSU Métropoles : retour sur l'enquête "Des territoires et des valeurs"
Co-organisé par le PUCA et la plateforme bordelaise, le 4ème atelier national POPSU Métropoles s’est tenu le mardi 13 avril 2021 en visio-conférence. Retour illustré sur la présentation du chercheur bordelais, Vincent Tiberj, professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux et chercheur au Centre Emile Durkheim (CED), grâce à une facilitation graphique de Samirah Tsitohaina, chargée de médiation en stage au Forum urbain.
Avec ses collègues Amaïa Courty, Viviane Le Hay et Gilles Pinson, Vincent Tiberj
travaille sur l’axe 4 du projet POPSU "Bordeaux, la métropole en partage ?",
intitulé « La métropole et le populaire ». Avec leurs travaux, l’équipe de recherche entend prendre au mot la
thématique générale du programme POPSU Métropoles, « la métropole et les autres », en
s’intéressant autant, sinon davantage, à l’altérité sociale qu’à l’altérité
territoriale.
Les objectifs de l'étude
Ce matin-là, le politiste présentait les résultats préliminaires de l'une des sept opérations de recherche prévues dans le cadre du projet. Il s'agit de sonder à travers une enquête quantitative la manière dont les catégories populaires vivent, pratiquent et se représentent la métropole et les processus de métropolisation. Ce travail prend sa source dans les interrogations soulevées dans le débat public, notamment depuis les résultats des élections présidentielle de 2017 et municipales de 2021. Serait-on en train de voir émerger un clivage entre les habitants des grandes villes et ceux occupant les espaces périurbains, représentés par le mouvement des Gilets jaunes ?
Il s’agit également de dépasser un angle mort de la sociologie électorale par sondage, souvent sujette au biais dit de la "fallace atomistique", qui considère qu’un ouvrier, peu importe qu’il habite le Nord ou le Sud de la France, a un comportement électoral équivalent. C’est oublier qu’un individu s’inscrit dans des territoires aux identitées ancrées. A l'inverse, la cartographie tend de son côté à omettre la complexité socio-économique de l’individu. L’objectif principal est donc de mieux comprendre les systèmes de valeurs au niveau d’individus spatialement situés, en tentant de réconcilier l’approche sociologique et spatiale.
Constitution des échantillons aléatoire
Au lendemain des élections municipales de juin 2021, un questionnaire réalisé par l’équipe
de chercheurs a été administré par téléphone par la société Kantar auprès d’un
échantillon constitué de façon aléatoire dans 4 zones géographiques comme ceci :
- 500 habitants de Bordeaux intramuros ;
- 500 habitants de Bordeaux Métropole ;
- 500 habitants de la Gironde hors Bordeaux Métropole ;
- 500 habitants des départements limitrophes de la Gironde.
Catégorisation sociale des échantillons
Le premier exercice a consisté à caractériser socialement l’échantillon. On observe alors que les données recueillies contredisent les thèses de polarisation géographique défendues, notamment par Christophe Guilluy (2014, 2016) qui oppose des territoires métropolitains, riches (« la France d’en haut ») à des territoires périurbains, pauvres et relégués (la « France périphérique »). Cette étude révèle que la métropole bordelaise comprend à la fois des « riches » (20% des Métropolitains appartiennent à des Catégories Socio-Professionnelles Supérieures) et des « pauvres » (la métropole accueille davantage d’allocataires du Revenu de Solidarité Active que le Département), à la différence de la Gironde qui se caractérise par une plus grande proportion de classes moyennes. Pour mieux comprendre, il faut analyser la variable du renouvellement de la population dans les territoires. Celui-ci est plus important sur la métropole qu'ailleurs : 60% des Métropolitains sont arrivés il y a moins de 10 ans, alors que 60% des Bordelais intra-muros et des Girondins sont installés depuis plus de 10 ans.
Premiers résultats : liens à la métropole
Vincent Tiberj tente ensuite de mettre en relation les jugements exprimés sur Bordeaux et l’expérience que les sondés ont avec le territoire. En quoi le lien avec la métropole peut déterminer ces jugements ? Par exemple, sur la question des déplacements, plus de la moitié des Girondins se rendent fréquemment à Bordeaux et dans le même temps, une forte proportion d'entre eux jugent que la circulation y est "difficile". La trajectoire résidentielle, plus ou moins contrainte, semble être également un facteur déterminant : la majorité des Métropolitains et Bordelais jugent que la ville est à taille humaine, alors la moitié des habitants des départements autour de la Gironde pensent le contraire.
Il est à noter que des représentations diverses peuvent co-exister au sein d'un même échelle de territoire. Les travaux de la plateforme POPSU à Toulouse Métropole[1] sur les modes de vie et l’habiter ont permis de pousser cette analyse à une échelle plus fine.
Premiers résultats : des territoires et des valeurs
Qu’est-ce qui se joue dans les systèmes de valeurs et le rapport au territoire métropolitain ? Qu’est-ce que c’est de vivre dans un territoire compte tenu de son âge, de son niveau de diplôme, de sa profession ? Afin de répondre à ces questions, plusieurs thèmes ont été soulevés en lien avec les modes de vie, les lieux fréquentés, les attitudes de consommation, la politisation, la confiance dans les institutions etc.
Si les Girondins se révèlent plus hostiles face à l'immigration que les Bordelais (42% contre 23%), il est intéressant de constater l'effet des générations : une personne de 25-34 ans vivant en Gironde se révélant aussi xénophobe qu’un Métropolitain de 50 ans.
3 logiques d'interprétation possibles
Une première interprétation des résultats mettrait donc en lien la connaissance, l’expérience et l’acceptation des règles de la ville, alors qu’à l’inverse, l’éloignement de la ville créerait un rejet des caractéristiques propres à la métropole.
Cette interprétation tend à être confirmée par les résultats recueillis sur le sentiment d’insécurité : 60% des Bordelais et des Métropolitains considèrent qu’on peut se promener tranquillement la nuit à Bordeaux, contre 33% des Girondins et habitants des autres départements. Le genre joue également un rôle, les femmes de milieux précaires se trouvant plus souvent confrontées à l'insécurit que les hommes.
Enfin, le poids d'un système de valeurs peut expliquer que le vote Front national est souvent prégnant dans des territoires qui connaissent peu de phénomènes migratoires.
En réalité, les 3 différentes logiques doivent être combinées dans une analyse complexe des données qu'il reste à approfondir. C'est ce que l'équipe de recherche appelle le "multi-varié".
Pour aller plus loin :
● [article] Forum urbain, 4e atelier national POPSU Métropoles : retour sur les logiques spatiales de l'inflation immobilière à Bordeaux, 4 mai 2021
● [article] Viviane Le Hay, Gilles Pinson, "Bordeaux, capitale du milieu ?", Métropolitiques, 19 mai 2017
Références citées
● Christophe Guilluy, Le crépuscule de la France d'en haut, Flammarion (2016)
● Christophe Guilluy, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion (2014)
[1] L’analyse
des parcours résidentiels et des représentations de différents types
d’habitants permet d’approfondir ces connaissances, notamment pour mieux
apprécier les logiques d’installation des ménages au sein de l’espace
métropolitain et pour identifier ce pourquoi ils arrivent dans la métropole, y
restent, changent de lieu de résidence et pour certains la quittent. Il s’agit
aussi de comprendre comment leurs pratiques structurent l’espace et motivent
des politiques publiques.