Seghir Zerguini, l'ingénieur devenu chercheur
Crédit photo : Forum urbainSpécialiste des questions d’économie des transports et d’économie urbaine, Seghir Zerguini a longtemps travaillé comme consultant avant de se tourner vers la recherche. Arrivé à Bordeaux en 2013 depuis Paris, il s’intéresse justement à l’impact de la LGV Paris-Bordeaux sur l’efficacité de l’offre de transports urbains depuis la gare Saint-Jean. Portrait.
Entretien réalisé par Charlotte Hemery, stagiaire au Forum urbain en 2018.
Quel est votre parcours ?
Mon parcours est un peu atypique car je suis ingénieur de formation, issu de l'Ecole Polytechnique d'Alger, puis j’ai fait un doctorat à l’Université Paris-Est (Ecole Nationale des Ponts et Chaussées / Université Paris 12). J’ai réalisé ma thèse au SETRA (Ministère de l’Equipement et des transports) sur l’évaluation économique des systèmes de gestion de trafic. Après avoir travaillé comme consultant dans une filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations pendant 10 ans, j’ai eu le désir de me tourner vers la recherche, même s’il n’est pas toujours facile de passer du privé au milieu académique. J’ai d’abord travaillé comme chercheur contractuel à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan sur des questions de mobilité et d’énergie dans le cadre du projet européen "SustainCity", puis pendant 3 ans au laboratoire LVMT[1], sur le projet "ASPECT-2050" dont l’objectif était de développer un cadre prospectif pour les collectivités territoriales en vue de l’élaboration de Plans climat énergie territoriaux. Je suis arrivé à Bordeaux en 2013 lorsque j’ai obtenu un poste de Maître de conférences à l’Université de Bordeaux. Je suis rattaché au laboratoire GREThA et j’enseigne entre autres l’économie générale, l’économie des transports, les techniques quantitatives, la recherche opérationnelle et les statistiques à l’IUT[2].
A quels grands enjeux urbains vos travaux répondent-ils ?
Mes expériences en tant que consultant et chercheur m’ont conduit à me spécialiser à la fois dans l’économie des transports et dans l’économie urbaine. Je m’intéresse particulièrement aux enjeux de mobilité avec une approche systémique, car la mobilité implique de se poser des questions sur de nombreux autres sujets. Par exemple, la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre sont fortement liées à la mobilité et l’étalement urbain, et l’on ne peut penser l’un sans l’autre. Le changement climatique est un réel enjeu, la recherche devant permettre de trouver des solutions de mobilité et des formes urbaines moins consommatrices d’énergie.
Les questions d’occupation du sol m’intéressent également : à mon arrivée à Bordeaux j’ai été surpris par l’imposante tâche urbaine que forme la ville vue du ciel, car si c’est la deuxième agglomération française la plus étalée, elle n’est que sixième en termes de population.
Pourquoi vous êtes-vous orienté vers la recherche ?
Je pense qu’indirectement mon expérience dans le secteur privé a joué un rôle dans mon orientation vers la recherche. Du fait de mon doctorat, je nourrissais une certaine frustration face au caractère immédiat et opérationnel de mes travaux de consultant. Aujourd’hui je m’épanouis dans la recherche car le fait de travailler sur des questions complexes oblige à se surpasser.
Quels sont vos projets de recherche actuels ?
Mes travaux de recherche portent notamment sur la mise en place d’outils de simulation et de modèles prospectifs. Je coordonne le projet régional STRATEGIE[3], qui s’intéresse aux interactions entre les transports et l’occupation du sol. Le volet MUST-B (Modèle d’Usage du Sol et de Transport) sur lequel je travaille vise à doter les collectivités d’un outil prospectif pour les aider à prendre des décisions en termes d’aménagement des territoires urbains. En adoptant une approche systémique permettant de de croiser plusieurs variables comme les choix de localisation des ménages, des emplois, la pression foncière, les solutions de mobilités, ce modèle a pour but l’évaluation prospective de politiques urbaines (scénarios d’aménagement, projets de transport, …). Des consultants ont d’ailleurs été associés à ce projet pour s’assurer que cet outil soit fonctionnel et utilisable.
En parallèle, je travaille également sur le projet de recherche "Post-Gare" soutenu par les Fondations LISEA Carbone et Bordeaux Université, qui s’inscrit dans la thématique du dernier kilomètre. Il s’intéresse à l’efficacité de l’offre de transport en sortie de gare, dans le contexte marqué par la mise en service de ligne à grande vitesse (LGV) qui relie Paris et Bordeaux en 2 heures, et l’augmentation de la fréquentation qui lui est associée. La question posée est donc celle de l’offre de transports urbains et des conditions de desserte terminale à partir de la gare Saint-Jean.
A quoi ressemble votre quotidien en tant qu'enseignant-chercheur ?
Je fais en sorte de concentrer mes cours au premier semestre, ce qui me permet de dégager du temps le reste de l’année pour la recherche, mais aussi pour les obligations administratives assez chronophages. A côté de cela, je participe aussi à de nombreuses conférences en France et à l’international pour présenter les projets sur lesquels je travaille. Enfin, une partie de mon quotidien est consacrée à l’écriture et à la publication d’articles scientifiques et à la participation à des colloques. Ces deux dernières activités sont très enrichissantes car c’est l’occasion de confronter son travail au regard d’experts internationaux.
Quelles sont jusqu'ici vos plus grandes réussites ou fiertés ?
Je suis particulièrement fier du modèle MUST-B que nous avons développé dans le cadre du projet STRATEGIE. Ce type de modèle venant des Etats-Unis est encore peu utilisé en France : il a fallu l’adapter et dépasser ses limites pour le rendre opérationnel. A mon échelle, je tire une certaine satisfaction de me dire que les modèles et les outils de simulation que nous développons permettent aux collectivités territoriales de prendre de meilleures décisions notamment dans le cadre des défis du développement durable.
De plus, j’ai reçu avec Youssef Bouanan, post-doctorant sur le projet STRATEGIE, le prix Norbert Giambiasi lors d’une conférence internationale[4] à Barcelone en 2017, recevoir un tel prix est toujours valorisant. Une autre fierté qui vient de tomber aujourd'hui, c'est la candidature de Alan Guillou, stagiaire sur les projets STRATEGIE et Post-Gare, qui est retenue avec celle d'un autre étudiant de l'Université de Bordeaux pour représenter cette dernière lors de la Top Global Science Week de Tsukuba, qui aura lieu au Japon du 20 au 22 septembre 2018.
Que représente pour vous le Forum urbain ?
C’est une plateforme intéressante car elle permet d’avoir des informations et de se tenir au courant des travaux de recherche de collègues avec lesquels on ne travaille pas forcément. Grâce aux différents laboratoires et établissements associés, le Forum urbain permet de développer des projets de recherche interdisciplinaires et décloisonnés, ce qui est en adéquation avec l’approche systémique que j’adopte dans mes recherches.
Quels sont vos loisirs et vos passions en dehors de la recherche ?
De manière assez amusante, lorsque j’habitais Paris je lisais beaucoup car je passais beaucoup de temps dans les transports vers mon lieu de travail. Arrivé à Bordeaux, je n’ai jamais été aussi proche de mon travail et je lis donc moins. La mobilité a donc un vrai impact sur nos habitudes !
Concernant mes loisirs, je marche beaucoup : le centre-ville de Bordeaux est un environnement très agréable et propice aux déambulations.
Quelques travaux disponibles en ligne : |
[1] Le Laboratoire Ville Mobilité Transport est une unité mixte de recherche entre l’École des Ponts ParisTech, l’IFSTTAR et l’UPEM.
[2] Institut universitaire de technologie.
[3] STRATEGIE : interactionS TRAnsport et TErritoires en GIrondE : Modélisation et Monétarisation.
[4] 14th International Multidisciplinary Modelling & Simulation Multiconference.