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Sandrine Rui, ou le pouvoir aux sciences humaines et sociales

Sandrine Rui, ou le pouvoir aux sciences humaines et socialesCrédit photo : A.Pequin

Enseignante-chercheure en sociologie, Sandrine Rui s’intéresse depuis sa thèse à la participation citoyenne appliquée notamment aux grands projets d’aménagement. Son mandat de vice-présidente de l'Université de Bordeaux déléguée à la Formation, à la vie universitaire et citoyenne lui apporte un recul intéressant sur le métier d’enseignant-chercheur et le rôle que doivent jouer les sciences humaines et sociales. Portrait.

Entretien réalisé par Jocelyn Noirot, stagiaire au Forum urbain en 2017.

Quel est votre parcours ?

J’ai commencé mes études avec l’ambition de devenir journaliste ; c’est donc au sein d’un IUT de journalisme que j’ai découvert la sociologie, vers laquelle je me suis ensuite réorientée jusqu’au doctorat. J’ai soutenu ma thèse intitulée "Conflits d’aménagement, débat public et construction de l’intérêt général : une expérience démocratique ?" sous la direction de François Dubet en 2001, à une époque charnière pour la participation publique sur les projets d’aménagement, marquée par la mise en place de son premier cadre légal mais aussi par des débats très vifs. Je me suis à l’époque particulièrement intéressée à la participation autour des grands projets d’aménagement ferroviaires (lignes TGV/LGV).

Après ma thèse, j’ai travaillé comme consultante dans un cabinet de conseil en consultation publique. L’enquête que j’avais réalisée m’avait en effet donné l’occasion de rencontrer des cabinets spécialisés sur ces questions, et l’un d’eux m’a proposé de le rejoindre. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de lien que ce que l’on pourrait penser entre l’univers du conseil et celui de la recherche : de nombreux chercheurs sont ou ont été des praticiens, de même que beaucoup de praticiens s’attachent à produire de l’analyse.

Cette expérience dans le privé ne m’a cependant pas empêché de conserver un pied dans le monde académique, que ce soit par la rédaction d’articles ou la valorisation de mon travail de thèse. En 2005, j’ai d’ailleurs été recrutée comme Maître de Conférences à l’Université Bordeaux II Victor Segalen, devenue Université de Bordeaux.

A quels grands enjeux urbains vos travaux de recherche répondent-ils ?

La question de la participation citoyenne est le fil rouge de mes recherches. Les enjeux urbains se sont imposés à moi comme chercheur puis comme consultante, quand se posait la question des enjeux liés à l’aménagement et aux infrastructures de transport. Par la suite, j’ai mené des travaux de recherche portant plus précisément sur la question de la participation citoyenne dans le champ de la politique de la ville et me suis aussi intéressée aux formes contemporaines de la démocratie locale.

Qu’est-ce qui vous a attirée vers la recherche ?

La possibilité de m’orienter vers la recherche m’est en réalité apparue au fil de mon cursus d’études. Ce qui m’intéressait, c’était surtout de réaliser des enquêtes, d’analyser des témoignages… Je me suis rendue compte que la sociologie, tout comme le journalisme, me permettait cela, en y ajoutant la rigueur scientifique permettant de viser une portée générale et une forme d’utilité sociale sans doute plus solide. Le "temps de la recherche" m’apparaissait par ailleurs plus pertinent pour bien saisir les réalités sociales dans lesquelles je souhaitais me plonger. Ce qui me plaît dans la recherche, c’est qu’elle se donne les moyens de produire une connaissance ayant vocation à améliorer la vie collective.

A quoi ressemble votre quotidien en tant qu'enseignant-chercheur ?

L’enseignement (et tout ce qui l’accompagne, notamment la coordination pédagogique avec les équipes) occupe bien évidemment une partie importante du temps, de même que le travail de recherche, qui regroupe aujourd’hui en réalité des activités multiples : travail d’enquête empirique, lectures, travail d’analyse de matériaux, coordination des équipes de recherche, écriture d’articles ou d’ouvrages, travail de valorisation, participation à des comités de revue (évaluation d’articles proposés par des collègues), évaluation du travail des pairs dans le cadre de leurs demandes d’avancement, travail auprès des doctorants, vie de laboratoire, etc. Face à cette démultiplication des tâches à accomplir, l’enjeu du métier d’enseignant-chercheur est aujourd’hui de ne pas sacrifier le temps de la recherche, ce qui suppose une bonne organisation, qui peut elle-même être facilitée par une dynamique collective de travail auprès d’une équipe.

En parallèle de mon métier d’enseignant-chercheur, je m’investis surtout aujourd’hui dans mon mandat de vice-présidente "Formation, vie universitaire et citoyenne" à l'Université de Bordeaux, qui implique de mener à bien des activités quotidiennes assez éloignées des activités d’enseignement et de recherche, mais toujours au service de ces dernières.

Quelles sont vos plus grandes réussites ou vos plus grandes fiertés au fil de votre parcours ?

L’enseignant-chercheur ayant pour mission fondamentale d’enseigner la connaissance qu’il a lui-même préalablement produite, il ressent évidemment une grande satisfaction lorsqu’il a le sentiment d’avoir contribué, par la diffusion de ses connaissances, à la naissance de vocations de chercheur parmi ses étudiants ou plus simplement lorsqu’il a réussi à les intéresser à ses objets de recherche. Cet enjeu de transmission est sans doute ce qu’il y a de plus gratifiant selon moi dans le métier d’enseignant-chercheur.

Il peut aussi être extrêmement gratifiant de constater que certaines de nos analyses sont partagées ou du moins débattues. Les colloques ouverts au grand public, dont on ressent à leur issue qu’ils ont apporté des choses à la fois aux chercheurs participants mais aussi au public, sont également des moments forts et importants selon moi : pour les chercheurs, la reconnaissance de la qualité de leurs analyses est un moteur, tout comme le fait d’avoir contribué à vivre un moment utile, profitable à tous et favorisant l’intelligence collective.

Enfin, la publication d’un article mais plus encore d’un ouvrage sont évidemment des moments de satisfaction, car ils constituent l’aboutissement d’un travail parfois long.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Au-delà de mes engagements au sein de deux équipes de recherche, j’espère pouvoir occuper mon énergie à faire en sorte que les sciences humaines et sociales sortent d’un malentendu dont elles sont encore trop souvent victimes : à mon sens, alors qu’elles "ont le pouvoir" aujourd’hui (c’est-à-dire que les questionnements qu’elles soulèvent reviennent très fréquemment dans le débat public et qu’elles sont très présentes dans de nombreux secteurs d’activités ou de formation), survit l’idée dans un certain imaginaire collectif qu’elles ne formeraient "pas à grand-chose", qu’elles n’auraient "pas de débouchés professionnels", etc. C’est sans doute aussi mon rôle en tant qu’enseignant-chercheur en sociologie de ne pas céder à cette déploration et d’assumer, d’une certaine façon, cette part de pouvoir que les sciences humaines et sociales ont sur la société.

Je voudrais contribuer à lever le doute sur l’utilité sociale de ce domaine disciplinaire, y compris dans les réflexions relatives à l’accès à nos formations, à la valorisation de nos travaux… Je voudrais que les chercheurs en sciences humaines et sociales soient aussi fiers que ceux de la recherche biomédicale de l’utilité et de la portée de leurs travaux. Les Centres d’innovation sociétale tels que le Forum urbain ont d’ailleurs un rôle à jouer dans ce domaine. Il y a un long chemin à parcourir, qui constitue d’abord un changement culturel, vers la transformation de notre image et peut-être du langage qui est le nôtre…L’époque actuelle, marquée par les débats autour de l’innovation sociale, l’innovation sociétale, la transition environnementale, etc. me semble constituer un moment propice pour réaliser ce travail et pour qu’il porte ses fruits.

Que représente pour vous le Forum urbain ? Que vous apporte-t-il ?

Le Forum urbain constitue avant tout pour moi une scène et un réseau qui répondent à plusieurs enjeux : bien évidemment, permettre aux chercheurs travaillant sur les questions urbaines de se rencontrer, mais aussi favoriser les échanges entre le monde académique et les praticiens autour d’enjeux communs. Les relations existaient, mais de façon fragmentée ; il y a une vraie plus-value pour chacun dans le fait de savoir que quel que soit son profil et ses besoins, il pourra trouver un interlocuteur au sein du réseau du Forum urbain. Cela permet de gagner du temps, et c’est très profitable pour les enseignant-chercheur de savoir qu’il existe un lieu ressource avec des gens dont c’est la compétence d’entretenir le réseau, de tisser les liens, d’organiser le travail, etc. Cela permet aussi d’éviter de faire des choses en doublons ou de disposer d’un réel paysage de la formation existante sur les questions urbaines. J’apprécie aussi l’ancrage territorial du Forum urbain.

Quelles sont vos lectures en dehors des ouvrages scientifiques ?

En ce moment, je lis Proust. Ses œuvres contiennent d’ailleurs une importante dimension sociologique et psychosociologique ! Je lis aussi des œuvres de Marcel Aymé, et je vais bientôt commencer le nouveau tome de la trilogie Vernon Subutex de Virginie Despentes, dont j’apprécie beaucoup la peinture du monde contemporain, plutôt dans sa face urbaine d’ailleurs !

Que faites vous quand vous ne faites pas de recherche ?

Ma ligne de fuite par rapport à une activité de recherche, c’est de jouer du piano !

Quelques travaux disponibles en ligne :
● [article] "La société civile organisée et l’impératif participatif. Ambivalences et concurrence"Histoire, économie & société, vol. 35e année, no. 1, 2016.
● [article] "Introduction. La démocratie participative a-t-elle un sexe" (avec Marion Paoletti), Participations, vol. 12, no. 2, 2015.
● [article] "Ce que le théâtre fait au territoire. Reconfiguration du public et évaluation" (avec Chloé Langeard et Françoise Liot), Espaces et sociétés, vol. 163, no. 4, 2015.
● [article] "Avoir vingt ans et 'faire avec' le genre Call of Duty et Desperate Housewives, métaphores de l'asymétrie" (avec Eric Macé), in S.Octobre (dir.), Questions de genre, questions de culture, Ministère de la Culture - DEPS, 2014.
● [article] “Habermas and The Garants: Narrowing the gap between policy and practice in French organization-citizen engagement” (avec Burnside-Lawry J. et Lee C.), Communication, Politics and Culture, Vol. 46/2, 2014.


[1] Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives.

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