Marion Paoletti : à quand l’égalité femmes-hommes en démocratie ?
En plus de sa double casquette de chercheuse à l’Institut de Recherche Montesquieu (IRM) et enseignante en science politique à l’Université de Bordeaux, Marion Paoletti est aussi chargée d’une mission « Parité, égalité, diversité » pour l’Université de Bordeaux. Ses différentes responsabilités parlent de son engagement pour la démocratie et les inégalités de genre. Portrait.
Entretien réalisé par Samirah Tsitohaina,
stagiaire au Forum urbain en 2021.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours en quelques phrases ?
Diplômée de
Sciences Po Bordeaux, j’ai fait une thèse en science politique sur le sujet de
la démocratie locale et des référendums locaux que j’ai soutenue en 1996. Au
début des années 2000, j’ai travaillé sur la mise en œuvre de la parité
politique et l’entrée des femmes en politique. J’ai par la suite intégré le
comité de rédaction de la revue Travail,
genres et société, qui m’a poussé à questionner plus largement le genre
dans l’action publique et en matière d’égalité professionnelle. En 2014, j’ai
été nommée en charge de l’égalité homme-femme pour l’Université de Bordeaux,
mission qui s’est élargie en 2018 à la parité, l’égalité et la diversité. A ce
titre-là, je mène une série d’actions au sein de l’Université et suis notamment
associée au réseau Mix(Cité) qui rassemble toutes les missions « égalité »
des collectivités et des établissements publics en France.
Qu'est-ce qui vous a attiré vers la recherche ?
A l’époque où j’ai
commencé ma thèse, la démocratie participative n’était pas du tout un champ de
recherche, alors qu’aujourd’hui elle s’est installée dans la recherche et l’action
publique. J’ai eu l’impression de défricher un sujet, de faire œuvre utile et
c’était assez enthousiasmant. L’institutionnalisation de la participation dans
les lois et les pratiques n’est intervenue qu’avec les élections municipales de
1995. J’ai alors beaucoup été sollicitée pour diffuser mes travaux de recherche
sur la question, dans des espaces qui étaient mi-scientifiques, mi-politiques. Aujourd’hui,
la place des femmes dans les lieux de pouvoirs n’est plus discutée, la parité
s’est imposée comme une « grammaire du féminisme d’Etat » pour
reprendre l’expression de Laure Bereni. Mais la question du lien entre cette
présence quantitative et le changement des pratiques intéresse assez peu les
acteurs. Aujourd’hui, la question de l’égalité hommes-femmes est toujours perçue
comme un sujet de femmes et pas un sujet universel, qui concerne tout le monde.
Comment s'organise votre travail d'enseignante-chercheuse ?
Je suis maîtresse de conférences, habilitée à Diriger des Recherches (HDR) en
science politique à l’Université de Bordeaux. Je suis également responsable de
la mention science politique à l’Université de Bordeaux. Je coordonne par
ailleurs le projet RESET (Redesining Equality in Science and Excellence
Together), financé par le programme H2020 de la Commission Européenne. Il
s’agit d’un projet qui associe 7 universités européennes, toute labelisées
« excellentes » par des dispositifs nationaux, et qui cherchent à
penser ensemble l’« excellence scientifique » et l’« égalité ».
C’est assez compliqué de trouver du temps pour écrire en parallèle de ces
responsabilités : on travaille le weekend, le soir et pendant les vacances. Le
temps de travail est souple et extensif, ce qui est à la fois un levier pour
concilier vie personnelle et professionnelle, mais aussi un risque.
Comment vos travaux s'inscrivent-ils dans la recherche urbaine ? Plus encore, dans l'élaboration de projets urbains ?
Les projets que je
mène dans le cadre de la mission égalité à l’Université de Bordeaux ont pu croiser
la question urbaine. Sur les campus de Pessac, Talence, Gradignan (PTG), on a réalisé
une enquête quantitative sur les phénomènes de violences sexistes et sexuelles
et déployé une démarche qualitative : des marches exploratoires pour mieux
comprendre ces phénomènes, une démarche participative qui a abouti à des propositions
d’aménagement qui ont été soumises aux équipes en charge de l’Opération Campus[1] et à Bordeaux Métropole. Outre
la mise en œuvre de l’impératif participatif dans l’action publique, je me suis
intéressée au thème du genre dans la ville et les espaces urbains.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
En ce moment, je
dirige des numéros de revues sur les changements démocratiques contemporains,
l’appel à la participation et le rapport des élus à la participation. Depuis le
début de l’année, je travaille également sur le projet
RESET (Redesigning Equality and Scientific
Excellente Together) avec plusieurs universités européennes en Pologne, au Portugal,
en Allemagne, en Finlande, et en France. Ce projet vise notamment à mieux
prendre en compte le genre dans les recherches et dans les enseignements par la
mise en œuvre de plans d’actions audacieuses. C’est un projet qui se veut transformant
pour l’Université de Bordeaux et qui a vocation à se diffuser sur le
territoire.
Quel est selon vous le rôle du Forum urbain ?
Le Forum urbain a
un rôle de co-production des questions par les acteurs et les chercheurs, mais
également de diffusion des recherches urbaines. Le Forum urbain permet aux
chercheurs de valoriser les différentes expériences qui se font ailleurs, ce
qu’il y aurait à puiser pour les acteurs pour faire évoluer la démocratie et la
mettre en phase avec les demandes sociales.
Quels livres nous recommanderiez-vous ?
J’aime beaucoup la
bande dessinée Sapiens de David
Vandermeulen et Yuval Noah Harari, qui raconte l’histoire de l’humanité. Elle fait
sortir des institutions politiques, je suis souvent frappée de l’étroitesse de
notre vision quand je lis des choses un peu différentes. Sapiens, une brève histoire de
l’humanité pour les enfants est vraiment utile.
Quelques travaux disponibles en ligne :
● [article] « Les questions sexuelles comme enjeu électoral municipal à Bordeaux. Une campagne décalée par rapport aux logiques nationales ? » (avec Clément Arambourou et Fanny Bugnon),
Métropolitiques, 7 janvier 2015.
● [article] Interview « Campus de Bordeaux : de nouvelles pistes pour la sécurité des étudiants », Sud-Ouest, 14 février 2019.
● [article] « #MeToo, #Travail ? » ( avec Olivier Cousin, Julie Landour, Pauline Delage et Sabine Fortino), Open edition journal, 15 novembre 2019.
[1]
L’Opération Campus Bordeaux est un projet immobilier et d’aménagement des
espaces extérieurs du campus, porté par l’Université de Bordeaux en partenariat
avec plusieurs établissements d’enseignement supérieur et de recherche
bordelais, avec le soutien de l’Etat, de Bordeaux Métropole et de la Caisse des
Dépôts. En savoir plus : https://operation-campus.u-bordeaux.fr.