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Dominique Darbon, observateur des recompositions africaines

Dominique Darbon, observateur des recompositions africainesCrédit photo : Forum urbain

Peut-on parler de l’émergence d’une classe moyenne en Afrique ? Sur quel modèle se développent aujourd’hui les villes africaines ? Voici quelques questions qui animent aujourd’hui le politiste Dominique Darbon, enseignant chercheur à l’IEP de Bordeaux et directeur du LAM. Portrait.

Entretien réalisé par Charlotte Hemery, stagiaire au Forum urbain en 2018.

Quel est votre parcours ?

En parallèle de mes études à Sciences Po Bordeaux, j’ai suivi un cursus de droit puis une formation sur les questions africaines organisée par le Centre d’études d’Afrique noire[1]. S’en est suivie la réalisation d’une thèse intitulée "Le paradoxe administratif : perspective comparative autour de cas africains". Le service militaire étant à l’époque obligatoire, je suis parti en Afrique australe pendant deux ans et demi avant d’intégrer la Fondation Nationale des Sciences Politiques pendant quelques années. Je suis par la suite parti enseigner la science politique et la sociologie des organisations et des administrations à l’Université de Montréal. A mon retour, j’ai obtenu le concours de Maitre de conférences et un poste à l’Université de Bordeaux. Puis j’ai lancé à Sciences Po les premiers masters professionnels[2] et j’ai longtemps été en charge des masters "Gestion des risques dans les pays du sud" (GRPS), "Coopération internationale et développement" (CID) et "Politique et développement en Afrique et dans les pays du sud" (PDAPS). Aujourd’hui, je dirige le LAM en parallèle de mes travaux de recherche.

A quels grands enjeux urbains vos travaux répondent-ils ?

Je m’intéresse tout d’abord à la croissance urbaine des villes africaines, qu’elles soient mégalopoles ou villes moyennes. Contrairement au modèle classique selon lequel la croissance urbaine est liée à l’émigration rurale, en Afrique la croissance est endogène, ce qui accentue la scission entre mondes rural et urbain. De plus, la croissance en Afrique se fait sans industrie manufacturière ; elle est essentiellement due au secteur tertiaire et numérique. Le secteur informel est aussi un facteur non négligeable à prendre en compte : des villes s’appuient sur des systèmes économiques que l’on n’arrive pas à expliquer. C’est ce modèle urbain entouré d’incertitudes qui me passionne.

Je travaille également sur des enjeux de recomposition sociale dans les agglomérations, et plus précisément sur le développement de catégories sociales qui émergent sans être pour autant des classes moyennes. Cette recomposition se donne à voir spatialement : les bidonvilles se réorganisent et se "verticalisent" dans certaines zones, tandis que de nouveaux espaces plus aisés sont en construction ailleurs.

Pourquoi vous êtes-vous orienté vers la recherche ?

Mon parcours est assez paradoxal car j’ai en réalité quitté la recherche : je m’y suis engagé avec ma thèse avant de bifurquer sur la voie de l’enseignement au Canada. Je me considère avant tout enseignant car c’est une activité dans laquelle je m’épanouis, mais il est important pour moi de mettre en place des projets de recherche pour comprendre les phénomènes contemporains, particulièrement sur le terrain africain.

Quel est selon vous le rôle du chercheur ?

Le rôle du chercheur, c’est de poser des questions que les autres ne posent pas, de remettre en cause des choses qui sont acquises, ou tout du moins tenter de le faire. La plus-value de la recherche se fait justement dans la capacité à vérifier, à démontrer la véracité ou les fragilités d’un phénomène, et ainsi monter en connaissance. La recherche, c’est avant tout un goût pour comprendre ce qu’il se passe et pour le travail en commun.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

J’ai mis sur pied avec Olivier Provini[3] un programme de recherche sur les politiques publiques en Afrique, en partenariat avec la Région Nouvelle-Aquitaine et l’Agence française de développement (AFD). Ce projet associera des collègues sud-africains et allemands, avec pour objectif de faire un bilan comparatif des réformes qui ont eu lieu dans les Etats africains au cours des trente dernières années, pour évaluer leurs effets et les transformations endogènes qu’elles ont pu engendrer. Avec l’aide des économistes du GREThA, l’idée est à terme de mettre au point un modèle qui serve de guide d’analyse.

Un autre projet, de moindre ampleur mais qui me tient à cœur, portera sur les processus d’évolution des prix des terrains urbains sur la longue durée. Les résultats seront donnés à voir à travers une carte qui rendra compte des transformations des espaces, travaillée avec des collègues géographes. On s’intéressera à des terrains très différents comme les nouveaux hubs du continent et les zones enclavées, en travaillant avec des agences immobilières locales.

Quelles sont vos plus grandes réussites ou fiertés ?

Mes plus grandes fiertés, ce sont mes étudiants ; j’étais au Mali récemment pour un projet de recherche avec des collègues maliens, et j’ai croisé complètement par hasard plusieurs anciens étudiants. Cela fait plaisir de constater qu’aujourd’hui ils ont des postes variés et intéressants.

Une autre grande fierté concerne mes travaux sur les classes moyennes africaines : cette expression est apparue du jour au lendemain dans les médias sans que nous, chercheurs, ne l’ayons vu venir. Avec des collègues internationaux, nous avons pu démontrer au bout d’un travail de recherche de 10 ans que l’histoire des classes moyennes en Afrique était plus une manipulation statistique qu’une réalité.

Que représente pour vous le Forum urbain ?

Pour moi le Forum urbain est un espace fondamental de questionnement. Il permet de s’interroger sur des enjeux essentiels pour nous dans les pays du Nord, et plus généralement dans le monde puisque les phénomènes de métropolisation par exemple transcendent l’opposition Nord – Sud.

Quelles sont vos lectures en dehors des ouvrages scientifiques ?

J’ai une passion de longue date pour le rugby. Et concernant les lectures, un livre qui m’a particulièrement marqué est La rose blanche par Inge Scholl, dont l’histoire nous fait suivre un mouvement d’étudiants durant la Seconde Guerre mondiale qui se rebellent contre Hitler, et cela finit très mal. Je le donne à lire à mes étudiants pour leur montrer que le destin est entre leurs mains.

Quelques travaux disponibles en ligne :
● [article] "’Penser l’action publique’ en contextes africains. Les enjeux d'une décentration" (avec Olivier Provini), Gouvernement et action publique, vol. 2, no. 2, 2018.
● [vidéo] "Les classes moyennes africaines au-delà du buzz : dynamiques économiques sociales et politiques. 3 questions à Dominique Darbon", Institut français des relations internationales, 2018.
● [article] "Des administrations africaines paradoxales : entre pratiques locales plurales et régimes d’aide incertains", Quaderni, vol. 87, no.2, 2015.
● [article] "Classe(s) moyenne(s) : une revue de la littérature. Un concept utile pour suivre les dynamiques de l'Afrique", Afrique contemporaine, vol. 244, no. 4, 2012.
● [article] "Réformer ou reformer les administrations projetées des Afriques ? Entre routine anti-politique et ingénierie politique contextuelle", Revue française d'administration publique, vol. no105-106, no. 1, 2003.



[1] Devenu aujourd’hui le laboratoire LAM – Les Afriques dans le monde.
[2] A l’époque appelés DESS – Diplômes d’études supérieures spécialisées.
[3] Maitre de conférences en science politique à l’Université de La Réunion, associé au laboratoire LAM.

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