Chloé Buire, vidéo-géographe
Crédit photo : Charlotte Hemery / Forum urbainChercheure au laboratoire LAM (Les Afriques dans le Monde) depuis 2016, Chloé Buire s’intéresse aux questions urbaines avec pour terrains de prédilection l’Afrique du Sud et l’Angola. Elle se positionne en faveur d’une recherche collaborative avec les acteurs locaux, ce qui la conduit à multiplier les voyages. Portrait.
Entretien réalisé par Charlotte Hemery, stagiaire au Forum urbain en 2018.
Quel est votre parcours ?
Je suis issue d’une formation en géographie à Paris I, avec des options de géographie culturelle, de photo et de vidéo. Je suis entrée en master 2 avec la volonté de présenter un projet de doctorat par la suite. C’est Philippe Gervais-Lambony[1] qui a encadré mon mémoire de master et ma thèse intitulée "À travers pratiques citadines et tactiques citoyennes, la production du droit à la ville au Cap (Afrique du Sud)", menée entre 2007 et 2011. J’ai ensuite décroché un post-doctorat en études urbaines à l’Université du Witwatersrand à Johannesburg (Afrique du Sud) pendant deux ans, qui ont été une période très marquante pour moi. Le projet de départ était de réaliser une comparaison entre Luanda, la capitale de l’Angola, et Johannesburg, mais il y avait si peu de littérature sur l’Angola que j’ai choisi de m’y consacrer de manière plus importante en y passant l’essentiel de mes deux années. Puis j’ai obtenu un autre post-doctorat portant sur un projet européen intitulé "Youth Experiences of Citizenship in Divided Societies : Between Cosmopolitanism, Nation, and Civil Society" avec l’université de Durham au Royaume Uni, pour lequel j’étais détachée en Afrique du Sud. Ce projet s’intéressait à l’impact de programmes destinés à la jeunesse dans des pays divisés ou en situation post-conflit. Après avoir passé le concours national du CNRS en 2015, je suis devenue officiellement chercheure en février 2016 et j’ai rejoint le LAM.
A quels grands enjeux urbains vos travaux répondent-ils ?
Un enjeu qui me tient à cœur et qui est un peu provocateur, c’est celui de la ségrégation. Ce mot est difficile à utiliser en France mais très courant en Afrique du Sud, où il renvoie à une réalité très précise : la race et les rapports raciaux. Selon moi, l’Afrique du Sud est un miroir grossissant révélateur de phénomènes que l’on observe dans d’autres pays. Les questions s’y posent de manière plus violente, plus caricaturale, ce qui permet de porter un regard intéressant sur d’autres situations. La démocratie est un autre enjeu auquel je m’intéresse dans mes recherches. Sans être une "comparativiste" stricte, j’ai un raisonnement comparé, et c’est cette approche que j’adopte autour de l’idée de démocratie "directe" ou "participative". Quand on regarde l’Angola, on peut se demander ce que veut dire la démocratie, la citoyenneté, lorsqu’il n’y a pas de gouvernement local élu démocratiquement. En Angola comme en Afrique du Sud, il y a des luttes citoyennes, mais elles ne se manifestent pas de la même manière, d’où l’intérêt de cette approche comparée.
Pourquoi et comment vous êtes-vous orientée vers la recherche ?
C’est notamment durant l’année de pause entre ma maîtrise et mon master 2 que j’ai réfléchi à ce que je souhaitais faire. Durant cette année, je faisais de la musique et je travaillais dans des centres de loisirs, mais je continuais quand même à aller aux séminaires à l’université ! Cette année-là m’a permis de prendre conscience des raisons qui me poussaient à aller à la fac, et de réaliser que je voulais faire de la recherche, même si je n’imaginais pas encore que cela deviendrait mon métier.
A quoi ressemble votre quotidien en tant que chercheure ?
Je dirais que mon quotidien se divise entre des phases que l’on pourrait qualifier de monacales et d’autres plus collégiales. Une partie du travail de chercheur est en effet assez solitaire : c’est le temps de lecture, de formalisation de ses idées et d’écriture. Ensuite, il y a aussi une autre partie de mon quotidien cette fois plus collective, qui est pour moi très importante. Cela passe par la relecture du travail de collègues, la participation à des séminaires et conférences, ou encore des échanges avec collègues et étudiants. En parallèle j’enseigne également de manière ponctuelle à Sciences Po et à l’Université Bordeaux Montaigne. Et bien sûr, il y a les moments où je suis sur le terrain et où cette division théorique vole en éclat ! Mais ce n’est pas facile de s’organiser pour dégager deux ou trois mois pour pouvoir partir dans de bonnes conditions…
Quelles sont jusqu'ici vos plus grandes réussites ou fiertés ?
Je répondrai par une anecdote. En 2015, je travaillais en Afrique du Sud autour d’un projet de film avec des jeunes joueuses de football qui se préparaient pour la coupe Coca Cola (qu’elles ont d’ailleurs remportée). Nous avons réalisé un petit film sur leur expérience à partir de mes vidéos et d’interviews qu’elles avaient faites entre elles. Six mois plus tard, alors que je ne vivais plus en Afrique du Sud depuis longtemps, j’ai été recontactée par l’une de ces jeunes filles me remerciant car le film l’avait poussée à participer à un atelier de "digital story telling" dans un centre réputé, ce qu’elle n’aurait pas osé faire sinon. C’était un moment fort, preuve de l’impact de mes recherches auprès de ces personnes, et pour moi une belle réussite.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
L’année dernière, j’ai passé 3 mois en Angola pendant la période des élections présidentielles qui ont été un moment fort pour le pays puisque le président qui était au pouvoir depuis 38 ans ne s’est pas représenté. Un de mes projets est donc de me pencher sur tout le matériau récolté qui dort dans mon disque dur depuis presque un an. Je suis par ailleurs en train de rédiger un projet de recherche portant sur une "constellation" de projets communautaires dans des grandes villes d’Afrique, d’Europe et d’Amérique. L’objectif est d’interroger les pratiques urbaines et politiques de différents collectifs (un collectif de photographes de rue à Luanda ou un collectif anarchiste du centre-ville d’Athènes par exemple), et d’en tirer un documentaire.
Que représente pour vous le Forum urbain ? Que vous apporte-t-il en tant que chercheure ?
Je me représente le Forum urbain comme une manière de garder un lien avec les études urbaines, qui me tiennent à cœur. Après avoir réussi le concours du CNRS en 2015, j’ai dû choisir entre rejoindre un laboratoire d'études africaines ou un laboratoire d’études urbaines. Ayant fait toute ma formation doctorale dans des instituts urbains, j’ai choisi de faire autre chose. Je suis très contente d’avoir rejoint le LAM pour son approche pluridisciplinaire et l’environnement intellectuel nouveau et très stimulant qu’il offre. Le Forum urbain me permet quant à lui de garder un ancrage sur les problématiques urbaines.
Quels sont vos loisirs et vos passions en dehors de la recherche ?
Une passion qui est au centre de mon quotidien, c’est la capoeira. C’est un art martial brésilien issu de pratiques d’esclaves venus d’Afrique sans langue ni religion commune. C’est donc un collage de différentes influences africaines dans le contexte brésilien, que j’ai découvert en Afrique du Sud. C’est en pratiquant la capoeira que j’ai pris conscience de ses racines en Angola, et c’est de cette façon que j’ai commencé à me rendre à Luanda. La capoeira a donc une place importante dans mes imaginaires. Je regarde aussi beaucoup de séries, toujours avec une curiosité scientifique. The Wire ou Treme par exemple, sont des séries très intéressantes dans le champ des études urbaines.
Quelques travaux disponibles en ligne : |
[1] Géographe, professeur à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense et membre de l’équipe Mosaïques du laboratoire LAVUE (Laboratoire Architecture Ville et Urbanisme, Environnement).