Camille Jonchères : naviguer entre les savoirs et la pratique
Doctorante en thèse CIFRE à la Région Nouvelle-Aquitaine, Camille Jonchères traite le sujet de l’adaptation au changement climatique avec son regard de sociologue. Grâce à ses nombreuses expériences professionnelles, en particulier dans le domaine de la médiation scientifique, elle s’est forgée un parcours à son image, en alliant action sur le terrain, transmission des savoirs et appréhension des défis climatiques. Portrait
Entretien réalisé par
Samirah Tsitohaina, stagiaire au Forum urbain en 2021.
Pouvez-vous
nous décrire votre parcours en quelques phrases ?
A mon arrivé à Bordeaux, j’ai intégré la faculté de Bordeaux
2 où j’ai suivi la formation en sociologie, sans avoir une idée précise de
mon débouché professionnel. A la fin de mon master 1, j’ai hésité entre une
deuxième année en recherche ou un master 2 plus professionnalisant, que j’ai
fini par choisir. Et c’est au cours du stage réalisé à l'Association Climatologique de la
Moyenne-Garonne et du Sud-Ouest (ACMG) que j’ai été initiée à la
problématique du changement climatique, que je n’ai plus quitté. J’ai ensuite
travaillé un petit peu en bureau d’études avant de reprendre un deuxième master
2 en gestion territoriale du développement durable pour m’insérer dans le
milieu professionnel lié aux enjeux du climat. J’ai réalisé un nouveau stage à
l’ADEME sur l’engagement des acteurs à la transition énergétique, écologique où
j’ai cherché à traduire dans l’action, des concepts sociologiques (et
géographiques) et à ajouter au raisonnement technique ou ingénieur, une
réflexion sociale, humaine. C’est toujours mon sujet de travail
aujourd’hui ! J’ai ensuite travaillé pour l’association AcclimaTerra qui est une
communauté scientifique régionale sur les impacts du changement climatique
présidée par le climatologue Hervé Le Treut qui rassemble plus de 400
chercheur-es. J’ai aussi participé à monter l’évènement du « Train du
climat » qui s’est arrêté dans 6 villes de la Nouvelle-Aquitaine. Depuis le
début de cette année (2021), j’ai intégré la Région Nouvelle-Aquitaine pour
réaliser une thèse CIFRE qui a pour intitulé « Des savoirs pour l’action : interfaces et relations de savoirs
entre scientifiques et praticiens pour anticiper régionalement les changements
climatiques » sous la direction du sociologue Denis
Salles et co-encadré par le climatologue Hervé Le Treut.
Qu’est-ce qui vous a attiré vers la recherche ?
Je ne me voyais pas faire une thèse au départ. En master, ce
qui m’intéressait le plus, c’était le fait d’être dans l’action, d’où mon choix
pour un master professionnel. Mais j’aimais déjà bien réfléchir et décortiquer
des sujets comme on le fait en sociologie. Mon expérience à l’Association de
Climatologie en Moyenne Garonne (ACMG) m’a permis de faire le lien entre les
outils de la sociologie qui pouvaient être très utiles sur le terrain mais qui
n’étaient pas suffisamment prises en compte. C’est là que c’est créé le premier
jalon de mon identité professionnelle, j’étais entre le savoir académique et la
pratique. Après de nombreux échanges, Hervé Le Treut m’a convaincu de me lancer
dans l’exercice de la thèse. J’ai accepté de relever le défi, mais uniquement
dans le cadre d’une CIFRE ! La particularité de la thèse CIFRE,
c’est qu’il y a une finalité opérationnelle ; dans mon cas, la définition
d’une stratégie régionale d’adaptation aux changements climatiques. Ce qui veut
dire qu’il y a un travail qui pourrait être directement utile, même si je
ne suis pas pour l’utilitarisme des sciences. J’aime bien avoir des
contraintes qui me sont données et répondre à un problème qui est formulé avec
mes outils de sociologue.
Comment
s’organise votre travail de thèse entre le laboratoire et à la Région
Nouvelle-Aquitaine ?
C’est
un équilibre à trouver ; les 6 premiers mois en télétravail n’ont pas
aidé ! La règle d’or est que je travaille à 100% sur ma thèse. Ensuite, je
distingue des jours « recherche» et des jours « mission ou
projet » parce que même si le sujet est commun, ce ne sont pas, pour
moi, les mêmes logiques de travail, de pensée et d’attentes...mais je peux encore
changer d’avis ! Pour l’instant, j’enquête, je m’immerge dans mon terrain.
Comment vos
travaux s’inscrivent-ils dans la recherche urbaine ? Plus encore dans
l’élaboration de projets urbains ?
Je porte une réflexion intégrée plutôt que sectorielle. A mon
niveau (régional), je pourrais agir sur les questions d’aménagement. Je
travaille par exemple à partir du SRADDET (Schéma régional d'aménagement, de
développement durable et d'égalité des territoires) et sur ses déclinaisons territoriales
(SCOT, PLU, PLUI, etc). De plus, la Région a produit une feuille de route
politique, appelé « Néo Terra » qui porte 11 ambitions, dont une
spécifique sur l’urbanisme durable, éco-conçu et bioclimatique. Mon travail de
recherche-action, vise à renforcer cette dynamique. L’aménagement, c’est aussi faire
avec une ressource finie (le sol), dont les fonctions et usages sont multiples,
ce qui engendre des arbitrages qui mettent en scène des savoirs, temporalités
et spatialités différentes. Un processus que le changement climatique amplifie,
tend ou encore déstabilise : tout cela fait partie de mon sujet de
recherche.
Vous avez
aussi coordonné à ses débuts la chaire TRENT sur les transitions énergétiques
territoriales portée par Sciences Po Bordeaux ; quelle a été votre
expérience ?
C’était
un an avant ma thèse, j’ai été embauché pour organiser son lancement.
Il y avait une idée et des mécènes. On a organisé un premier
évènement avec des étudiants et des représentants d’institutions, pour lequel
j’ai essayé de connecter différents réseaux. J’ai aussi travaillé l’image de la
Chaire (avec un prestataire de communication), convaincue de l’importance d’une
image commune, d’avoir une identité partagée pour se présenter à d’autres, et
commencer une mise en mot qui fixe la raison d’être de la Chaire. C’est dans ce
cadre que j’ai rencontré Hubert Delzangles, professeur de droit public à
Sciences Po Bordeaux et responsable scientifique de la chaire, avec qui j’ai pu
discuter de droit de l’environnement. Aujourd’hui c’est Sylvain Roche, lui
aussi enseignant à Sciences Po Bordeaux, qui anime la Chaire, un magnifique
travail !
Qu’est-ce
que vous entendez par médiation scientifique ? Pouvez-vous nous donner des
exemples concrets de par vos expériences ?
Lors
de l’évènement inaugural de la chaire TRENT, j’avais demandé aux intervenants
de prévoir des questions qui allaient être posées au public.
Cela permettait aux intervenants de savoir à qui ils s’adressaient. C’est
une démarche de l’ordre de l’animation (par la technique employée) et de la
médiation (l’intervenant apprend de son public qui apprend de lui). Ensuite,
notre comité de pilotage était constitué de scientifiques, mais aussi
d’élus comme Françoise Coutant, ex-vice-présidente en charge du
climat et de la transition énergétique à la Région, de nos financeurs comme la
Région, la Caisse des dépôts et conciliations et ENGIE. Discuter de sujets et
contenus de conférences, se mettre d’accord sur un positionnement commun,
c’était aussi ça la médiation car la Chaire TRENT traite des transitions
énergétiques territoriales par le regard des sciences humaines et sociales.
Pour moi la médiation scientifique, c’est celle décrite par Arnaud Zohou [1] ; reconnaitre et promouvoir le rôle social du chercheur.e et
de la science et militer pour croiser les regards disciplinaires (plutôt que de
les opposer ou de les hiérarchiser).
Que
représente le Forum urbain pour vous ?
Le
Forum urbain, c’est un réseau important qui donne de la visibilité aux sujets
et qui permet de faire un travail de veille. J’ai
présenté plusieurs fois le Forum urbain à des collègues qui ne sont
pas issus du monde académique et je crois que ça leur permet d’avoir une
ressource à la fois documentaire et évènementielle. Je trouve ça très
important !
Quels
sont vos projets pour l’avenir ?
Pour
l’instant, avancer et finir ma thèse. Après, je souhaite pouvoir avoir un poste
qui me permette de continuer de réfléchir et d’agir dans cet
interstice entre la recherche et l’action autour des sujets du climat et de
l’adaptation.
Quels
sont vos loisirs en dehors de la recherche ?
J’aime bien le cinéma et la
lecture, c’est quelque chose qui pour moi est très important, surtout quand
cela fait écho à mes travaux. En ce moment, je relis le livre « Pour une
sociologie de l’environnement » de Bernard Kalaora et Chloé Vlassopoulos.
Sinon, j’ai revu récemment le film « La sociologie est un sport de
combat » de Pierre Carles : les pensées de Pierre Bourdieu n’ont
pas perdu de leur force !
[1]
Arnaud Zohoy, La médiation scientifique,
Presses des mines, 2015