Antonio Gonzalez : saisir les dynamiques territoriales au croisement des disciplines
Crédit photo : Samirah Tsitohaina / Forum urbainA la tête de l’équipe des dynamiques territoriales de l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine (a’urba), Antonio Gonzalez porte à la fois le statut de professionnel et chercheur de la ville. Il met un point d’honneur à traiter les différents sujets d’études de l’agence de manière transversale afin d’avoir une vision la plus large possible. Portrait.
Entretien réalisé
par Samirah Tsitohaina, stagiaire au Forum urbain en 2021.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours en
quelques phrases ?
Je suis ingénieur diplômé de l’École des ponts
et chaussées de Barcelone et urbaniste diplômé de l’Institut Français d’Urbanisme.
J’ai par la suite réalisé une thèse en urbanisme et aménagement à l’École
nationale des ponts et chaussées de Paris. Mes recherches portaient sur
l’analyse des procédures de concertation des politiques de mobilité. Ensuite, pendant
quatre ans, j’ai travaillé en tant que chargé de planification de l’offre en
transport en commun pour la régie des transports métropolitains de Barcelone. En
2010, j’ai intégré l’a-urba en tant que directeur d’équipe des dynamiques
territoriales. En parallèle, j’ai enseigné à l’École des ponts et chaussées de
Barcelone, puis à Sciences Po Bordeaux au sein du master "Stratégies et
gouvernances métropolitaines". A la rentrée 2021, je serai professeur associé à
temps partiel.
Quelles sont vos missions à l’a-urba ?
J’encadre l’équipe des dynamiques
territoriales de l’a-urba, avec laquelle nous travaillons sur les thématiques
de la mobilité, des transports, de l’environnement au sens large : milieux
vivants, santé environnementale, métabolisme urbain, eau, ressources… On traite
ces thématiques de façon transversale et à différentes échelles, de la région au
quartier, voire même à la rue. A l’a-urba, notre marque de fabrique c’est de mélanger
différentes compétences et approches sur les sujets que l’on traite pour nous
forcer à prendre du recul sur un sujet ou un territoire.
Selon vous, comment l’action publique ou les
initiatives citoyennes peuvent-elles être nourries ou éclairées par la
recherche ?
Le monde de la recherche est là pour nourrir
la décision publique, en permettant d’objectiver des ressentis et des faits par
le biais de la méthode scientifique. C’est une démarche qui nécessite du côté
des décideurs un peu d’humilité, car les enseignements tirés de la recherche
peuvent les pousser à réajuster les objectifs et les moyens ; du côté des
chercheurs, de l’engagement pour oser proposer des pistes d’actions au-delà de
l’analyse des problématiques et du jeu d’acteurs. La recherche permet de mieux
comprendre la société et donc d’évaluer et d’anticiper les effets de l’action
publique avant de mettre en place des politiques.
Qu’est-ce que le Forum urbain pour vous ?
Le Forum urbain nous aide à explorer et à analyser certains sujets avec le regard scientifique des chercheurs. Ils nous ont accompagné sur certains projets sur lesquels on voulait aller un peu plus loin que ce que nous pouvions faire seuls. La démarche que nous avons à l’a-urba de croiser les disciplines fait que nous sommes aussi ouverts à des collaborations avec le monde de la recherche, et à être des passeurs d’enseignements avec le monde des politiques publiques.
Le regard des étudiants mobilisés par le Forum urbain est aussi intéressant. A ce titre, je suis investi en tant que tuteur de projets collectifs science politique / architecture depuis quelques années, dispositif pour lequel l’a-urba a été a plusieurs reprises commanditaires d’études.
J’ai aussi travaillé avec le Forum urbain de
manière plus indirecte, par le biais de colloques et de conférences. En résumé,
c’est une structure qui permet la stimulation intellectuelle.
Qu'est-ce que ce que les projets collectifs
science politique / architecture vous ont apporté ?
Ce n’est pas un exercice simple au début car les
étudiants en architecture et en science politique doivent apprendre à se connaitre
et comprendre quelles sont les compétences des uns et des autres. Pour le
commanditaire, cela oblige à formaliser une problématique qui soit suffisamment
large pour que les étudiants puissent s’en saisir. On ne peut pas se contenter
de demander aux étudiants en architecture de faire un plan guide d’un projet ou
aux étudiants de sciences politiques de faire un benchmark. On doit imaginer un
sujet qui comporte à la fois une dimension spatiale forte, mais qui nécessite
également l’analyse du jeu d’acteurs et une réflexion stratégique en termes de
politiques publiques. En 2019, j’ai accompagné un groupe d’étudiants qui
travaillait sur une étude
prospective sur l’avenir des gares de Bordeaux Métropole commanditée
par SNCF Mobilités. C’était un sujet parfait car il y avait à la fois l’ancrage
territorial très fort des gares et les conflits d’intérêt et d’usages à
étudier.
Quels sont vos projets actuels ou à venir ?
On nous demande de travailler de plus en plus sur les transitions au sens large, et de mieux prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique et de consommation des sols. Ces questions deviennent centrales et elles influent sur la façon de penser les espaces publics, les modes de déplacement et la ville au sens large. C’est un sujet qui crée de fortes tensions car elle questionne la compatibilité entre des modes de vie plus sobres (moins consommateurs de ressources et moins générateurs de gaz à effets de serre) et la permanence de toutes les commodités urbaines. On doit réfléchir à la planification urbaine d’une autre façon, en tenant compte du fait qu’il faut changer de modèle et que le nouveau modèle est encore à construire.
Du côté des mobilités, celles-ci ne sont pas
optimales aujourd’hui. Une très grande majorité de déplacements se fait encore
en voiture : le réseau de transports collectifs ne répond donc pas à tous
les besoins, surtout dès qu’on se trouve dans des zones périurbaines. Les
alternatives à la voiture individuelle ont du mal à émerger et ce sont des
choses sur lesquelles il faut se pencher. Mais l’organisation de la mobilité et
la planification urbaine sont intimement liés. En ce sens, les urbanistes
exercent beaucoup de responsabilités car par leurs choix de planification, ils
vont induire certains modes de vivre, de consommer, de se déplacer…
Quel est le plus grand défi pour la métropole
selon vous ?
Avec le défi déjà évoqué de la transition
écologique et énergétique, il y a un défi majeur qui est celui de l’accès au
logement. Le logement est un bien de première nécessité et la demande n’a cessé
de croître dans la métropole bordelaise depuis une quinzaine d’années. Il y a
encore trop de gens qui n’ont pas un accès facile au logement, ou alors très
loin de leur lieu de travail ou d’études. On pourrait dire que l’emploi est un
sujet majeur, mais la métropole a moins la main dessus. A l’inverse, la
métropole peut faire beaucoup pour stimuler l’accès au logement pour tous, en
produisant davantage de logements sociaux, en encadrant les prix des locations,
en expérimentant de nouveaux dispositifs tels que le bail réel et solidaire, par
exemple... Il y a aussi des énormes marges d’action dans la réhabilitation du
parc ancien, dans la résorption de la vacance, dans l’organisation de
l’hébergement d’urgence ou des aires d’accueil des gens du voyage. Toute une
palette d’outils à déployer !
Quels sont vos loisirs en dehors de votre vie
professionnelle ?
J’aime beaucoup le cinéma, la musique, les spectacles
vivants. Récemment, j’ai vu un spectacle de James Thierré « The damn jam
concerto » au théâtre Fémina qui était un mélange fabuleux de concert,
danse, one man show… Et j’ai découvert
un nouveau réalisateur Guillaume Brac avec son film « A l’abordage » que
j’ai beaucoup apprécié. Il rappelle les comédies sur la jeunesse et les
rencontres d’été d’Éric Rohmer, mais avec la conscience de classe sociale en
plus !