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Jean-Philippe Berrou, économiste des réseaux et de l’informel

Jean-Philippe Berrou, économiste des réseaux et de l’informel

Jean-Philippe Berrou est Maître de Conférences à Sciences Po Bordeaux et chercheur au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM). Economiste du développement, il étudie depuis sa thèse les questions urbaines sous l’angle du secteur informel et des réseaux interpersonnels d’accès à l’emploi, en Afrique et dans les pays en développement. Portrait.

Entretien réalisé par Jocelyn Noirot, stagiaire au Forum urbain en 2017.

Quel est votre parcours ?

J’ai suivi un parcours assez classique dans ma discipline. J’ai effectué une maîtrise de sciences économiques en analyse des politiques économiques à Brest, avant de m’orienter en économie du développement en DEA[1] à l’Université Bordeaux IV (aujourd’hui Université de Bordeaux), où j’ai poursuivi en doctorat au sein du GREThA. J’ai soutenu en décembre 2010 ma thèse intitulée "Encastrement, réseaux sociaux et dynamique des micro et petites entreprises informelles en milieu urbain africain". J’ai finalement intégré Sciences Po Bordeaux en 2011 en tant que Maître de Conférences en sciences économiques. Dès ma prise de fonction, j’ai assumé la responsabilité du parcours de master "Gestion des Risques dans les Pays du Sud" (GRPS).

A quels grands enjeux urbains vos travaux de recherche répondent-ils ?

Mes recherches portent sur des enjeux liés au secteur informel urbain, très important dans les villes d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est. Il faut bien se rendre compte qu’à Dakar (Sénégal) ou Abidjan (Côte d’Ivoire), près des 3/4 de l’emploi urbain relève de l’économie informelle ! Je m’intéresse aussi à la question de la structuration de l’activité économique en termes de réseaux et de relations sociales interpersonnelles. Cela rejoint d’ailleurs mes recherches autour du secteur informel, puisque ceux dont les activités relèvent de ce secteur n’ont, par définition, pas accès aux dispositifs formels d’accès à l’emploi. On peut aussi en tirer des conclusions sur les dynamiques structurantes aujourd’hui dans les villes des pays en développement : comment passe-t-on de dynamiques que l’on pourrait qualifier de "communautaires" à des dynamiques sans doute plus personnalisées et plus individuelles (ce qui ne suppose pas la fin des solidarités, mais l’émergence de nouvelles formes de solidarités dans les milieux urbains) ? Finalement, l’étude de la structuration des réseaux d’accès à l’emploi est donc aussi une façon de capter certaines grandes dynamiques urbaines actuelles. Un autre objet de recherche par lequel j’aborde la question urbaine est celle des NTIC[2] ; je m’intéresse à leur appropriation et notamment à l’usage professionnel du téléphone mobile dans le secteur informel en Afrique.

Qu’est-ce qui vous a attiré vers la recherche ?

C’est avant tout de pouvoir m’interroger, de douter, de comprendre. Certaines thématiques (notamment le secteur informel) m’intéressaient particulièrement, et j’étais très intéressé par l’étude et la compréhension du fonctionnement de marchés du travail extrêmement différents des nôtres. Mes premiers voyages en Afrique (Sénégal) et mes premières lectures notamment autour du concept d’"encastrement" social de l’économie (en France chez un auteur comme Serge Latouche puis plus tard chez Karl Polanyi et Mark Granovetter) ont renforcé cet intérêt. Au-delà des thématiques, la démarche de la recherche m’intéressait également : je trouve très intéressant de construire son cadre d’analyse et de produire et faire parler ses propres données, qu’elles soient quantitatives (particulièrement en économie), ou qualitatives.

A quoi ressemble votre quotidien en tant qu'enseignant-chercheur ?

Habituellement, je consacre énormément de temps à l’enseignement (notamment à la préparation de mes cours et l’encadrement pédagogique) et je tâche de trouver des interstices dans mon emploi du temps pour la recherche. Je dois dire qu’il n’y a globalement pas de routine dans le métier d’enseignant-chercheur et qu’il y a toujours des imprévus, notamment lorsque l’on est responsable pédagogique d’un master. Cette année, j’ai obtenu une délégation CNRS ; autrement dit, cela me permet d’être déchargé de l’ensemble de mes responsabilités pédagogiques (cours, direction de master) pour me consacrer à plein temps à mes activités de recherche.

Quelles sont pour l'instant vos plus grandes réussites ou vos plus grandes fiertés ?

Je crois que c’est avant tout ma thèse de doctorat, et notamment le fait d’avoir réussi à réaliser une enquête auprès de plus de 300 entreprises seul pendant un an sur le terrain, sans beaucoup de moyens, car je n’avais pas de financements pour ma thèse. C’est satisfaisant de voir que la méthode que j’ai développée a par la suite été réutilisée dans d’autres travaux et sur d’autres terrains (Vietnam, Inde). En ce moment j’encadre un doctorant qui approfondit cette méthodologie sur un objet de recherche plus large (la qualité de l’emploi) et un terrain nouveau (Bogota en Colombie).

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Durant cette année largement consacrée à la recherche (grâce à ma délégation), je vais pouvoir terminer trois projets en cours. Le premier est consacré aux réseaux d’accès à l’emploi à Bogota (Colombie) et mobilise une équipe internationale et un doctorant que j’encadre. Le deuxième est celui que je mène à Dakar dans le cadre d’un partenariat avec le département de la recherche d’Orange, sur l’usage du téléphone mobile dans le secteur informel (également mené avec un doctorant qui a coordonné une vaste enquête que l’on commence à exploiter). Le dernier concerne enfin la question de l’essor des classes moyennes dans les pays émergents (Brésil, Côte d’Ivoire, Turquie, Vietnam) et ses implications pour les politiques publiques (le projet est financé par l’Agence Française de Développement). Mon objectif durant cette année sera également d’articuler ces différentes thématiques, en interrogeant en particulier les effets potentiellement disruptifs de l’usage du mobile sur les réseaux de relations personnelles.

Que représente pour vous le Forum urbain ? Que vous apporte-t-il ?

Même si je ne me définis pas réellement comme un "économiste de l’urbain" mais plutôt comme un "économiste du développement", je me souviens avoir participé aux toutes premières réunions autour du Forum urbain au moment de sa création, car le secteur informel que j’étudie est bien évidemment lui-même urbain. Cela m’intéresse de voir comment les collègues abordent ce terrain et comment je peux confronter leurs travaux aux miens sur les questions de développement. J’apprécie aussi l’idée du partage avec la société civile que peut favoriser le Forum urbain.

Quels sont vos loisirs en dehors de la recherche ?

Depuis quelques années je lis beaucoup de bandes-dessinées, dans des genres assez divers : fantastique, héroic fantasy, polars-thrillers médiévaux et même des adaptations BD des classiques de la littérature. Actuellement, je lis l’adaptation en BD du Père Goriot de Balzac ! J’écoute aussi beaucoup de musique (je collectionne des vinyles, du reggae au rock-blues-soul des années 60-70) et aime assister à des concerts. Je voyage beaucoup et aime évidemment partager cela avec ma famille et mes deux enfants (on voyage beaucoup en van) !


[1] Diplôme d’études approfondies, équivalent du master 2 recherche aujourd’hui.
[2] Nouvelles technologies de l’information et de la communication.

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