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[POPSU] Quand les start-up rencontrent un rhinocéros gris

L'un des axes de recherche du projet POPSU "Bordeaux, la métropole en partage ?" porte sur les écosystèmes de start-up et leurs accroches territoriales. Une question particulièrement impactée par la crise sanitaire, qui semble contre toute attente avoir été plutôt favorable au développement des start-up. Explications.

Dernière mise à jour lundi 30 novembre 2020
[POPSU] Quand les start-up rencontrent un rhinocéros grisSource : up-magazine.info


Les économistes Nathalie Gaussier et Claude Lacour ont commencé à s'intéresser aux start-up en 2015, peu avant l'arrivée de la LGV à Bordeaux. C'est en interrogeant les éventuelles stratégies d’anticipation ou de (ré)organisation face à ce "choc exogène", que les deux chercheurs ont été frappés par l'affirmation par les acteurs politiques et les grands porteurs de projets de l'existence d'un écosystème entrepreneurial et régional bordelais, devenu depuis l'un des leitmotivs de l’attractivité bordelaise.

S'agissait-il d'un effet de mode visant à faire de Bordeaux une métropole "sur la vague" ? Ou la formule traduisait-elle, au contraire, l'émergence d'un réel écosystème entrepreneurial, ancré à la fois sur le territoire et dans la durée ?

Ce sont ces questions que les deux chercheurs souhaitent investiguer dans le cadre du projet "Bordeaux, la métropole en partage ?", initié en 2019. Leur objectif est alors de caractériser cet écosystème (types de structures, offres, relations) et d'analyser son rapport au territoire de la métropole et d'au-delà (localisation, inscription dans des réseaux).  

> Voir la note de cadrage initiale de la recherche ici

Puis la crise sanitaire liée à la COVID-19 est arrivée, percutant le démarrage des enquêtes de terrain et, surtout, les questionnements. Comment les deux chercheurs ont-ils adapté leur travail au contexte ? Ils répondent à nos questions.

On parle beaucoup des start-up dernièrement, mais de quoi s'agit-il exactement ?

Le concept de start-up renvoie à une jeune entreprise dont le modèle économique est basé sur une croissance rapide sur 2-3 ans, avant qu'elle ne soit rachetée ou se stabilise. On parle beaucoup des start-up notamment depuis 2015 et la montée en puissance des "licornes", ces jeunes entreprises valorisées à plus d'1 milliard de dollars et à la croissance très rapide (Uber par exemple). On parle aussi des "gazelles" dont le potentiel de développement est important, ainsi que des "cafards", moins brillants mais plus résistants, auxquels la crise sanitaire a donné une place singulière dans notre étude. Tout un bestiaire mis au point par les acteurs du monde économique, qui donne de la fantaisie à notre recherche !

Comment cette focale sur les start-up s'inscrit-elle dans la thématique de la "métropole et les autres" qui est celle du programme POPSU ?

Travailler sur les start-up est pour nous une clé d'entrée pour comprendre les liens qu'entretient le monde entrepreneurial avec la ville. Les réseaux y sont très importants mais l'on se rend compte aussi que l'ancrage territorial reste tout de même très fort. En effet, les approches classiques sur les écosystèmes des entreprises et des start-up insistent sur des relations fondées sur les technologies et les réseaux sans prendre suffisamment en compte la dimension de l’ancrage au territoire. C'est l'originalité de notre travail, qui s'intéresse d'abord au territoire de la métropole : il s'agit de voir pourquoi, comment, et sous quelles conditions les start-up entretiennent des liens avec le territoire bordelais, et comment la métropole en tant qu'institution joue cette carte. On voit bien que ceux qui s’installent à Bordeaux sont en réalité souvent "de retour". Ils ont fait ici une partie de leurs études avant de partir généralement vers des écoles d'ingénieur ; mais ils ont gardé des attaches familiales ou amicales... les liens professionnels sont importants mais d'autres types d’attaches le sont tout autant sinon plus. L'entrée par le territoire métropolitain permet aussi d'identifier des réseaux impliquant des start-up implantées à l'extérieur, chez "les autres", territoires hors-métropole qui participent aussi de l'écosystème en construction permanente.

Quels impacts de la crise sanitaire avez-vous observé sur cet écosystème ?

La crise sanitaire a certes impacté nos réflexions, mais elle n'est pas la seule : les élections de cet été ont également ouvert une fenêtre d'incertitude concernant nos premières analyses. Au début de la recherche, nous observions une convergence dans les discours politiques et les moyens mis en œuvre au regard de la nécessité de développer l'écosystème entrepreneurial métropolitain. Avec la crise et le renouvellement de l'exécutif métropolitain, nous ne savons pas encore quelle tournure prendront les choses : quelle sera la politique entrepreneuriale et d'innovation du nouveau président de la métropole ?nbsp;Dans un contexte de baisse des fonds publics, chaque institution territoriale ne sera-elle pas incitée à se recentrer sur ses compétences propres ? Sera-t-il toujours pertinent de soutenir les start-up quand tout un pan du secteur économique s’effondre ?nbsp;

La crise du Covid-19 nous a amenés à nous interroger sur la résilience du système et à nous intéresser à la manière dont les start-up réagissaient à la crise. Et ce que nous avons observé nous a surpris ! Celles qui se montrent parmi les plus résilientes sont celles dont on ne parle pas d'habitude : à côté du numérique, ce sont celles du service à la personne qui se développent beaucoup dans le contexte actuel ; c'est un tissu des toutes petites entreprises dont le modèle économique leur permet finalement de réagir et de s’adapter assez facilement. Elles ont amorti le choc de la crise mais rebondissent très vite, avec le soutien des acteurs publics notamment. En parallèle, les start-up plus importantes trouvent de nouvelles sources de financement favorables aux deep tech[1]. C'est donc l'ensemble des structures qui se développent, mais selon des modèles peu habituels.

La crise semble ainsi reconfigurer les écosystèmes de start-up, et en révéler d’autres facettes : avant on ne regardait que les start-up axées sur la haute technologie, celles qui étaient mises en avant dans les salons internationaux ; aujourd'hui, ce sont les petites structures apportant des services du quotidien qui sont valorisées. C'est un peu la revanche des cafards contre les licornes !

Avez-vous également constaté des évolutions en termes de lien au territoire ?

Aujourd'hui, les petites structures se développement un peu partout, interrogeant la notion d'écosystème "métropolitain". De fait, tous les territoires, y compris ruraux, ont besoin de ce type de petites entreprises, start-up ou non, qui répondent à des besoins de quotidienneté. Pour les petits commerces, passer de la vente traditionnelle au click & collect est une révolution, c'est une organisation et une pratique commerciale complètement différente. C'est cela qui est passionnant : l'approche par les start-up nous permet de voir ce qui se passe dans l'activité économique et en dehors de la grande métropole. Olivier Bouba-Olga disait dans une interview récente à La Gazette des Communes que la pandémie fait vaciller le culte de la métropolisation, et toute une littérature prédit la fin des longs déplacements et le retour à la proximité, mais comme souvent, il faut nous méfier d'extrapolations trop rapides...

De quoi tout cela laisse-t-il présager selon vous ?

Le problème central, ce sont toutes les interactions entre les crises qu’on peut voir apparaitre aujourd’hui. En cela, la pandémie ressemble à un rhinocéros gris plus qu'à un cygne noir : elle correspond à un phénomène plutôt envisageable (que certains avaient d'ailleurs prédit), dont on pouvait anticiper l’impact énorme tout en restant dans le déni quant aux conséquences à en attendre[2] ; le concept de cygne noir théorisé par le statisticien Nassim Nicholas Taleb renvoie lui à un phénomène strictement imprévisible, dont l'impact est phénoménal[3]. Pour nous, la pandémie est un choc de type nouveau qui est venu accélérer et renforcer des tendances déjà existantes, sur les inégalités territoriales, sociales et numériques notamment.

Le problème central, ce tons toutes les interactions entre les crises qu'on peut voir apparaitre aujourd'hui. En cela, la pandémie ressemble à un rhinocéros gris plus qu'à un cygne noir : elle correspond à un phénomène plutôt envisageable que certains avaient d'ailleurs prédit, dont on pouvait anticiper l'impact énorme, tout en restant dans le déni quant aux conséquences à en attendre

On est confronté à des crises qui semblent vouloir s'inscrire dans le temps, et la vraie question est celle de l'anticipation. La notion d’écosystème nous permet d'interroger la durée, de croiser les échelles et le temps. Elle constitue en cela une grille de lecture très riche, et un outil potentiellement porteur pour les institutions.

[1] Terme qui renvoie à une jeune entreprise développant un produit basé sur une innovation d'ingénierie significative, de rupture ou disruptive (source : Wikipedia).
[2] Wucker Michele, The Gray Rhino: How to Recognize and Act on the Obvious Dangers We Ignore, St. Martin's Press, 2016.
[3] Taleb Nassim Nicholas, Le Cygne noir: La puissance de l'imprévisible, Les Belles Lettres, 2010 [2007].

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