[RETOUR SUR] Les trajectoires périurbaines

Le 18 décembre, le Forum urbain organisait une rencontre consacrée aux trajectoires périurbaines, réunissant chercheur·se·s et acteur·rice·s de l’urbain pour interroger les transformations contemporaines des modes d’habiter en périphérie des villes. À partir des travaux de Laurent Cailly et de la participation de François Péron et Nathalie Gaussier, la discussion a permis de croiser regards scientifiques, retours d’expérience territoriaux et enjeux opérationnels, à partir d’un constat partagé : le périurbain constitue aujourd’hui un laboratoire majeur des transformations urbaines.

Le périurbain, un espace de maturation

Loin d’être figé, longtemps réduit à des représentations caricaturales (dépendance automobile, étalement, homogénéité sociale), le périurbain apparaît au contraire comme un espace complexe, traversé par des dynamiques multiples.

Laurent Cailly, maître de conférences en géographie à l’Université de Tours (UMR CITERES), a ouvert la discussion en présentant les principaux résultats de ses travaux sur les mobilités périurbaines et les recompositions des modes d’habiter. Laurent Cailly a montré que le périurbain ne peut être compris ni comme un espace en crise, ni comme un simple produit de l’étalement urbain, mais comme un espace de maturation : les trajectoires résidentielles y sont relativement stables, mais les pratiques de mobilité se transforment progressivement au fil des parcours de vie, des contraintes professionnelles et familiales, et des ressources territoriales disponibles. Comprendre le périurbain suppose donc de s’intéresser moins aux seuls lieux d’habitation qu’aux mobilités quotidiennes qui structurent les modes de vie.

Mobilités quotidiennes et territorialité mobile

Un des apports centraux de l’intervention de Laurent Cailly réside dans la critique d’une approche strictement technique de la transition des mobilités. Penser la mobilité uniquement à travers les infrastructures ou les modes de transport occulte une dimension essentielle : la mobilité est avant tout une pratique sociale, inscrite dans des modes de vie.

À partir d’enquêtes qualitatives approfondies (entretiens biographiques, suivis GPS, entretiens embarqués), il montre que les changements de comportement se font souvent « à bas bruit » (Dodier, 2015). Les habitant·e·s expérimentent, ajustent et combinent les modes de déplacement en fonction de leurs contraintes, donnant naissance à des formes de multimodalité discrètes.

Cette approche met en lumière la notion de territorialité mobile : les déplacements eux-mêmes deviennent des espaces vécus, investis différemment selon les profils sociaux, les âges et les trajectoires individuelles.

Mobilité quotidienne et stratégies résidentielles

Les échanges ont mis en lumière l’importance croissante de la mobilité quotidienne dans les stratégies résidentielles des ménages périurbains. Contrairement à l’idée de mobilités résidentielles fréquentes, les trajectoires périurbaines s’inscrivent majoritairement dans la durée. Ce sont les pratiques de déplacement qui évoluent en priorité, avec une attention renforcée portée à l’offre locale, aux temps de trajet et à la qualité de vie.

Les échanges ont souligné le rôle du télétravail comme facteur d’ajustement plutôt que de rupture. Sans bouleverser totalement les pratiques ,il renforce des dynamiques existantes : relocalisation partielle des activités, valorisation de la proximité, attention accrue aux temps de déplacement. Ces évolutions participent à une recomposition des centralités, notamment autour des petites villes périurbaines, des bourgs ou des pôles de transport.

Des modes d’habiter contrastés et socialement différenciés

Nos intervenant·e·s ont également insisté sur la diversité des profils périurbains. Les pratiques de mobilité varient fortement selon les ressources économiques, les configurations familiales ou l’accès aux services de proximité. Toutes et tous ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre pour adapter leurs déplacements.

Cette diversité appelle un enjeu central pour l’action publique : mieux connaître les usages et les trajectoires afin de concevoir des politiques de mobilité adaptées, capables de dépasser les réponses uniformes. La figure unique de l’habitant·e périurbain laisse place à une pluralité de situations, entre bord d’agglomération, périurbain proche et périurbain plus ruralisé.

Territorialité mobile et trajectoires mobilitaires

Un autre point central de la rencontre a porté sur la notion de territorialité mobile, qui désigne la manière dont les individus investissent leurs déplacements. Les temps de transport peuvent devenir des espaces de transition, de sociabilité ou de travail, mais ces usages restent socialement différenciés. Toutes et tous ne disposent pas des mêmes ressources pour transformer les déplacements en temps « choisi ».

Laurent Cailly a également développé la notion de trajectoire mobilitaire, entendue comme l’enchaînement, dans le temps, des pratiques de mobilité d’un individu. Ces trajectoires sont marquées par des phases d’expérimentation, d’ajustement et parfois de bifurcation, sans suivre de logique linéaire. Cette approche invite à reconnaître le rôle des « expérimentateur·rice·s ordinaires » et à concevoir des politiques publiques capables d’accompagner ces évolutions progressives.

Laurent Cailly - Rencontre du 18 décembre 2025 du Forum urbain
François Péron - Rencontre du 18 décembre 2025 du Forum urbain

Regards croisés et mise en débat

La table ronde, animée par Claire Philippe, Urbaniste habitat et mode de vie (Agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine), a permis de croiser ces apports théoriques avec les analyses de François Péron Directeur de l’équipe Écosystèmes territoriaux et Urbaniste spécialiste mobilité (Agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine), et Nathalie Gaussier, Maître de conférences HDR (BSE, Université de Bordeaux). Les échanges ont souligné les tensions persistantes entre dépendance automobile et émergence de pratiques alternatives, mais aussi les marges de manœuvre existantes pour accompagner les transitions, notamment à travers le covoiturage, les services express régionaux métropolitains ou le développement du potentiel cyclable en périurbain.

Nathalie Gaussier - Rencontre du 18 décembre 2025 du Forum urbain
Claire Philippe & François Péron - Rencontre du 18 décembre 2025 du Forum urbain

Penser le périurbain comme un territoire de projet

En conclusion, cette rencontre a montré combien le périurbain constitue un territoire clé pour penser les transitions contemporaines. En replaçant les pratiques et les trajectoires au cœur de l’analyse, les échanges ont ouvert des pistes pour dépasser les approches normatives et concevoir des politiques publiques plus attentives aux modes d’habiter réels. Loin d’être un angle mort de l’action publique, le périurbain apparaît ainsi comme un espace stratégique pour inventer les politiques urbaines de demain.

 

📖 Pour prolonger la réflexion : Trajectoires périurbaines – Mobilités spatiales et recompositions des modes d’habiter en marge des ville françaises. Un livre écrit par Laurent Cailly

 

Article de Océane Lecomte.
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