[RETOUR SUR] Ce que voisiner veut dire

Le 9 octobre 2025, le Forum urbain et l’a’urba ont accueilli Joanie Cayouette-Remblière, Sociologue et chargée de recherche à l’Ined, pour une rencontre autour de son ouvrage Ce que voisiner veut dire (PUF, 2024), coécrit avec Jean-Yves Authier. Elle est revenue sur les résultats d’une enquête inédite consacrée aux relations de voisinage en France, aux côtés de Joan Cortinas Muñoz, Maître de conférences en sociologie à l’Université de Bordeaux, et chercheur au Centre Emile Durkheim et Emmanuelle Goïty, Chargée d’études, sociologie de la ville à l’a’urba.

Le voisinage, une clé de lecture du vivre-ensemble

Longtemps considéré comme un « parent pauvre » de la sociologie urbaine, le voisinage reste pourtant une dimension essentielle de la vie citadine. Il reflète notre capacité à vivre ensemble, à « faire société ». Depuis plusieurs décennies, les politiques de mixité sociale supposent que les habitants de classes sociales différentes interagissent. Mais qu’en est-il vraiment ?

Une enquête de grande ampleur

©Rencontre 9 octobre 2025/Forum urbain

L’étude « Mon quartier, mes voisins » menée par Joanie Cayouette-Remblière repose sur 2 572 questionnaires et 210 entretiens réalisés à Paris et Lyon, dans 14 quartiers aux profils variés : bourgeois, populaires, d’habitat social. Cette approche inédite permet de croiser trajectoires résidentielles, conditions d’habitat et contextes territoriaux pour mieux comprendre les dynamiques de proximité.

Des relations toujours vivantes, mais socialement inégales

©Rencontre 9 octobre 2025/Forum urbain

Contrairement aux idées reçues, les relations de voisinage ne sont pas en crise : les échanges de services, les discussions de palier et les visites amicales restent aussi fréquents qu’en 1983. En revanche, l’accès aux ressources et la convivialité varient selon les classes sociales.

Les classes populaires échangent davantage des informations liées à l’emploi, tandis que les classes moyennes et supérieures mobilisent leurs réseaux autour des ressources du quartier, telles que les écoles ou les commerces. Ces différences se manifestent également dans les formes de sociabilité : les échanges de services et les invitations à domicile sont moins fréquents parmi les classes populaires –  un constat contre-intuitif, car on pourrait supposer qu’un faible capital économique se compense par un capital social de proximité plus dense.

Or, l’enquête montre l’inverse : la précarité économique fragilise les relations de voisinage. Les conditions matérielles de vie jouent un rôle déterminant – suroccupation des logements, moindre maîtrise des trajectoires résidentielles ou accès limité aux lieux de sociabilité (cafés, bars, associations) réduisent les occasions de créer et d’entretenir des liens.


Comme le défend l’autrice, la faiblesse du capital économique finit par entamer le capital social de proximité, limitant ainsi la capacité à tisser des relations durables au sein du voisinage.

Trois types de quartiers

L’autrices distingue trois grands profils de voisinage :

  • les « quartiers villages » (quartiers bourgeois et gentrifiés de ville-centres, communes rurales), où les relations de voisinage sont nombreuses et denses ;
  • Les « quartiers de liens faibles », mais pluriels (quartiers de mixité sociale programmée, certains grands ensembles ou quartiers populaires), où les relations de voisinage sont davantage marqués par l’homophilie, parfois les conflits ;
  • Les « quartiers de lien rare » et de mise à distance (centres dégradés des petites villes, certains quartiers populaires), où la sociabilité de voisinage est faible, avec des comportements de mise à distance et des conflits.

 

Cette typologie souligne combien le contexte urbain influence les formes de sociabilité.

Regards croisés et échanges locaux

Lors de la table ronde, Emmanuelle Goïty a présenté les travaux de l’a’urba sur les quartiers bordelais de Ginko et des Bassins à flot, tandis que Joan Cortinas Muñoz a rappelé combien les appartenances sociales façonnent nos manières de voisiner. La discussion, animée par Myriame Ali Oualla, a mis en lumière l’intérêt d’articuler recherche académique et observation de terrain pour comprendre la complexité des liens de proximité.

©Rencontre 9 octobre 2025/Forum urbain
©Rencontre 9 octobre 2025/Forum urbain

En conclusion

En plus de réactualiser nos connaissances sur les relations de voisinage à l’heure des réseaux sociaux, cette enquête permet de mettre en cause certaines idées reçues :

  • Une sorte « d’effet Matthieu », assez contre-intuitif, qui montre que les classes populaires ont un accès aux ressources par le voisinage plus limitées que les classes supérieures et moyennes
  • L’homophilie et la faiblesse dans les quartiers de mixité sociale interroge les objectifs de la politique publique. La proximité géographique semble, à elle seule, insuffisante pour créer des liens entre individus de classe différente – même si la mixité sociale est avant tout, comme le rappelle l’autrice, une façon de rompre avec la façon antérieure de produire du logement social et est, en cela, efficace.
  • L’importance du contexte territorial et urbain dans la formation des liens de voisinage.

 

📖 Pour prolonger la réflexion :
Ce que voisiner veut dire – Joanie Cayouette-Remblière & Jean-Yves Authier (PUF, 2024)

 

Un article de Guillaume Pouyanne & Océane Lecomte.

 

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