Notre site utilise des cookies nécessaires à son bon fonctionnement. Pour améliorer votre expérience, d’autres cookies peuvent être utilisés : vous pouvez choisir de les désactiver. Cela reste modifiable à tout moment via le lien Cookies en bas de page.


Université de BordeauxCluster of excellence
 

J. Kent Fitzsimons, architecte à la fibre réformatrice

J. Kent Fitzsimons, architecte à la fibre réformatrice

Architecte, enseignant à l’ensapBx et directeur du Laboratoire PAVE (Profession Architecture Ville Environnement), Kent Fitzsimons, défend une recherche en architecture pluridisciplinaire, axée à la fois sur le social et l’urbain. Portrait.

Entretien réalisé par Jocelyn Noirot, stagiaire au Forum urbain en 2017.
 
Quel est votre parcours ?

Je viens d’une formation plutôt scientifique au lycée à Montréal (Canada), puis, cherchant à croiser l’art et la science, j’ai effectué des études en architecture à l’Université McGill. Là, j’ai découvert la dimension sociale de l’architecture, en plus de l’esthétique et de l’ingénierie. J’y ai surtout été influencé par une professeure d’histoire, Annmarie Adams, spécialiste des questions sociales en architecture et en urbanisme, ayant obtenu son doctorat à UC Berkeley où l’approche "Material Culture" était très développée par les architectes chercheurs.

Une fois mon diplôme d’architecte en main, j’ai suivi mon cœur et ai déménagé à Paris pour devenir un professionnel de la maîtrise d’œuvre ; je n’avais aucune velléité au sujet de la recherche à l’époque. Je voulais changer le monde en dessinant des écoles et des logements qui remettraient en question l’ordre établi… puis me suis rendu compte que j’avais besoin de plus de nourriture intellectuelle, notamment sur le lien entre formes sociales et formes spatiales. Je suis alors parti aux Etats-Unis pour faire un master puis un doctorat à l’Université Rice (Houston, Texas), dans une école d’architecture très différente de ce que j’avais connu jusqu’alors, beaucoup plus axée sur la question urbaine et la condition de la ville américaine, ce qui m’a beaucoup stimulé.

Je suis revenu à Paris pour y gérer une petite structure d’enseignement pour le compte de l’école d’architecture de Rice, tout en poursuivant ma recherche doctorale sur le contenu social de l’espace architectural. J’ai soutenu ma thèse en 2006 et ai obtenu un poste de titulaire à l’école d’architecture et de paysage de Bordeaux en 2008. J’étais alors un peu solitaire dans mon travail, ayant terminé mon doctorat loin de mon directeur de thèse et de mes camarades de Houston. Mon intégration au laboratoire PAVE a fait évoluer mes sujets de recherche et mes façons de travailler, davantage en groupe. Grâce à mes lectures, aux séminaires auxquels j’ai participé et aux personnes que j’ai pu rencontrer, j’ai aujourd’hui une compréhension accrue d’autres disciplines, qui me permet d’interagir avec des collègues ayant une formation différente de la mienne.

A quels grands enjeux urbains vos travaux de recherche répondent-ils ?

Je travaille en ce moment avec l’équipe du PAVE ainsi que des collègues du laboratoire GRECCAU[1] sur la "ville durable", dans le cadre d’une collaboration avec un laboratoire de Cincinnati (Ohio, Etats-Unis), avec lequel nous avons déjà travaillé sur la question de la mobilité durable. Cette fois, la recherche porte sur le destin des bâtiments conçus et réalisés autour de 1970, c’est à dire juste avant les crises énergétiques et l’éveil écologique et environnemental, qui sont confrontés aujourd’hui au paradigme de la ville durable et les diverses transitions qu’il implique : énergétique, urbaine, sociale.

A titre plus personnel, je m’intéresse aussi à ce que j’appelle le "tournant processuel", phénomène touchant la théorie de l’architecture qui se concentre depuis les années 1990 davantage sur les conditions de production des projets que sur les effets des formes architecturales elles-mêmes. Il s’agit d’un défi important pour les savoirs sur les dimensions sociales de l’architecture et de la ville en tant qu’espace vécu, car ceux-là sont basés sur un paradigme linguistique qui interprète la forme, non pas les processus.

Qu’est-ce qui vous a attiré vers la recherche ?

Au-delà des rencontres que j’ai déjà mentionnées, c’est sans doute ma fibre de « réformateur » : je fais partie des gens qui ne se satisfont pas des choses telles qu’elles sont, qui ont besoin de les comprendre et qui veulent les changer en faveur de plus de justice sociale. Je considère qu’en architecture, on ne peut pas simplement dessiner de beaux bâtiments pour des gens riches ; on a aussi besoin de se poser des questions, de se constituer des savoirs et une culture politique au service de l’action. La recherche me permet d’occuper un rôle que je considère important dans la production de notre cadre de vie.

A quoi ressemble votre quotidien en tant qu'enseignant-chercheur ?

C’est une sorte de tiraillement perpétuel entre le temps consacré à l’enseignement, celui de la recherche, celui de la vie du laboratoire… C’est parfois très frustrant de ne pas avoir plus de temps pour jongler entre toutes ces activités, qui pour moi ne sont pas cloisonnées. Mais ce tiraillement est aussi très stimulant : c’est un véritable privilège des chercheurs que d’avoir un métier aux activités aussi diversifiées.

Quelles sont pour l'instant vos plus grandes réussites ou vos plus grandes fiertés ?

Je suis très heureux de parvenir à publier de façon assez régulière dans des revues scientifiques, pas seulement des revues d’architecture et surtout en anglais (la revue Space and Culture par exemple). C’est une satisfaction d’avoir maintenu une activité de rédaction exigeante dans mon emploi du temps pourtant chargé (les enseignants-chercheurs dans les ENSA[2] ont 60% d’heures d’enseignement de plus que nos homologues à la fac !). Je suis également fier de parvenir à discuter de manière pertinente et constructive, je le pense, avec des acteurs issus de différentes disciplines : j’aime adopter le rôle de "passeur", montrant l’importance de l’architecture aux chercheurs les plus sceptiques tout en valorisant les apports des autres disciplines auprès des architectes qui ne pratiquent pas la recherche.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Au-delà des travaux de recherche engagés, je souhaite continuer à diriger le laboratoire PAVE et le hisser à un nouveau niveau institutionnel, en adéquation avec la qualité de sa production. J’ai pour objectif d’améliorer son organisation avec des statuts adaptés, d’augmenter ses ressources humaines (ce qui a été amorcé avec l’embauche d’un ingénieur de recherche) et d'attirer plus de chercheurs habilités à diriger des recherches. Notre contrat de collaboration de 2014 avec le Centre Emile Durkheim est renouvelé, ce qui pérennise cette "force de frappe" complémentaire pour nos doctorants et pour nos activités. Je veille cependant à conserver l’ambiance "familiale" du PAVE, à laquelle ses membres sont très attachés.

Que représente pour vous le Forum urbain ? Que vous apporte-t-il ?

En tant que directeur de laboratoire, le Forum urbain m’apporte un soutien très apprécié pour le montage d’équipes de recherche, d’événements, mais aussi de modalités de valorisation de nos travaux. En tant que chercheur, en passant par le Forum, je sais que j’aurai accès à un réseau très pratique et efficace, avec des collègues aux compétences variées. Le Forum urbain a surtout révélé pour moi des réseaux et des possibilités de travailler avec de nouvelles personnes, en contournant certaines rigidités institutionnelles ou personnelles.

Quelles sont vos lectures et vos loisirs en dehors de la recherche ?

Mes lectures sont plutôt politiques. En ce moment, je lis l’ouvrage Utopies réelles d’Erik Olin Wright, qui correspond bien à mes préoccupations et alimente mes réflexions, mais aussi le Voyage en misarchie d’Emmanuel Dockès (qui présente ce système politique fondé sur la méfiance, voire la haine envers l’autorité et la domination) et Le partage du sensible : esthétique et politique de Jacques Rancière. Je lis parfois des romans, mais qui ont eux aussi une importante dimension politique ou sociologique (Virginie Despentes, Michel Houellebecq…).

J’aime beaucoup faire la cuisine, ainsi que réaliser des travaux dans ma maison. J’ai par ailleurs découvert la course à pied, et aujourd’hui je suis accro, sans pour autant avoir lâché mon vélo pour me déplacer.


[1] Groupe Recherche Environnement, Confort, Conception Architecturale et Urbaine.
[2] Ecoles Nationales Supérieures d'Architecture.

Figure dans les rubriques