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Université de BordeauxCluster of excellence
 

Charles de Godoy Leski, explorateur d’interdépendances ville / nature

Charles de Godoy Leski, explorateur d’interdépendances ville / natureService communication Irstea

Jeune docteur en sociologie au sein de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement), Charles de Godoy Leski étudie les relations d’interdépendance entre Bordeaux Métropole et ses territoires voisins et leurs conséquences à la fois politiques et environnementales, après un parcours pour le moins atypique. Portrait.

Entretien réalisé par Jocelyn Noirot en 2017.

Quel est votre parcours ?

Disons que j’ai un parcours marqué par quelques bifurcations : j’ai débuté avec des études de droit (spécialisation en droit public), à la suite de laquelle j’ai travaillé huit ans en tant que juriste. J’ai repris mes études durant les trois dernières années, en sociologie cette fois. J’avais depuis longtemps un intérêt prononcé pour cette discipline découverte en première année de droit ! Puis j’avais envie de m’orienter vers une voie plus épanouissante pour moi. J’ai alors suivi une formation en sociologie urbaine à l’Université Bordeaux Segalen (Université de Bordeaux aujourd’hui) et ai réalisé mon stage de fin d’étude dans l’unité ETBX ( Environnement, Territoires et Infrastructures de Bordeaux) dans, un laboratoire spécialisé en sciences de l’environnement l’INRAE (ex-IRSTEA) où j’ai notamment découvert la pratique de la prospective, encore une expérience un peu nouvelle et inattendue pour moi !

J’ai soutenu ma thèse intitulée "Vers une gouvernance anticipative des changements globaux. L'emprise des interdépendances socioécologiques sur une métropole estuarienne. Bordeaux Métropole et l'estuaire de la Gironde ", en mars dernier. Celle-ci s’inscrit dans un projet de recherche interdisciplinaire nommé "URBEST", qui s’intéresse aux relations d’interdépendance entre Bordeaux Métropole et son hinterland estuarien, abordées dans trois domaines de gouvernance en prise avec les effets du changement climatique et plus globalement d’un ensemble de perturbations environnementales d’origine anthropique : l’estuaire et des risques inondation/submersion qui lui sont associés, celle de la ressource en eau potable et enfin celle de la conservation de la biodiversité urbaine. L’interdépendance de ces trois enjeux constitue les marqueurs d’une empreinte politico-écologique étendue sur les territoires proches et lointains. L’objectif est que chaque discipline impliquée dans ce projet contribue à la mise en visibilité de ces relations d’interdépendance socioécologique. On attend d’ailleurs dans ce projet que ce soit la sociologie qui anime l’esprit d’interdisciplinarité par des questionnements transversaux.

Je suis en parallèle associé à deux autres projets : le premier, réalisé pour Bordeaux Métropole, propose une analyse sociopolitique des rapports de force autour de l’objet biodiversité, et la reconfiguration des données brutes des écologues ; le second, nommé "Epizhone", propose une analyse de la vallée des Jalles et se veut transdisciplinaire : il regroupe notamment des chimistes, des écologues, des sociologues et des économistes.

A quels grands enjeux urbains vos travaux de recherche répondent-ils ?

J’analyse essentiellement la difficile conciliation entre les logiques aménagistes d’une part et le maintien des systèmes écologiques d’autre part. La question posée est la suivante : comment veut-on que la ville s’insère dans un environnement plus grand qu’elle-même ? Il s’agit donc d’étudier les phénomènes de métropolisation et de métapolisation (son envers souvent négligé dans les recherches) ainsi que leurs conséquences environnementales. Je m’intéresse donc d’une certaine façon à l’articulation entre "désir de ville" et "désir d’environnement" et aux modalités d’anticipation des risques que celle-ci peut générer.

Qu'est-ce qui vous a attiré vers la recherche ?

Je crois que c’est d’abord une volonté d’exploration : l’idée de sortir de sa zone de confort, d’emprunter des voies impensées jusque-là. J’aime beaucoup l’idée de questionner l’évidence pour alimenter sa propre sagacité. J’ai par ailleurs un goût prononcé pour la lecture et l’écriture, ainsi que pour l’innovation et le fait de tester de nouvelles choses. Je me plais beaucoup à l’IRSTEA, car l’environnement est un champ d’investigation qui a souvent été porteur de grandes innovations et avancées. La nécessité de croiser les approches sur les questions environnementales (surtout si l’on ne veut pas simplement réparer les impacts sur l’environnement, mais aussi les anticiper) m’intéresse particulièrement.

A quoi ressemble votre quotidien en tant que doctorant ?

Je m’arrange pour qu’il n’y ait pas de routine ! Le métier de chercheur suppose actuellement une accélération du temps et une démultiplication des tâches à effectuer : aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de lire et écrire, mais aussi de valoriser, voire d’être une sorte de marketeur de son propre travail, de gérer des aspects administratifs, etc. J’essaie de conserver le plus de liberté possible dans mon travail malgré tout, c’est important pour un chercheur.

Depuis la soutenance, je n’ai pas arrêté d’écrire ! Actuellement, je suis sur la coordination d’un ouvrage sur les métropoles estuariennes (avec Denis Salles et Glenn Mainguy) et l’écriture de quelques articles. Disons que je vais enfin pouvoir souffler un peu … pour partir en quête de nouveaux projets qui me permettent de prolonger les pistes ouvertes par les travaux de la thèse.

En complément de ce portrait, écouter l'interview de Charles de Godoy Leski dans l'émission "Que cherchent-ils?", diffusée le 10/04/2018 sur RCF Bordeaux.

Quelles sont jusqu'ici vos plus grandes réussites ou vos plus grandes fiertés ?

Ma plus grande fierté, c’est sans doute l’éthique que je me fixe en tant que sociologue : toujours respecter les enquêtés (je travaille beaucoup par entretien long), ne jamais hésiter à soulever un problème dans les lieux d’échanges de l’action publique et plus scientifiquement se donner les moyens de sortir de ses biais cognitifs (voire les assumer comme assise épistémologique) ... Pour bien comprendre cela, il est par exemple très intéressant de relire plusieurs fois la retranscription d’un même entretien, à différents moments de l’évolution de sa pensée, car l’on y trouvera des choses nouvelles à chaque fois ! Je suis aussi très satisfait d’avoir contribué à la conception de quelques prospectives et de mettre en récit des futurs probables qu’ils soient souhaitables ou non pour les sociétés. Et pour réussir cela, il faut arriver à mettre en visibilité des configurations émergentes pour les intégrer dans les enjeux de long terme.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

A un niveau plus personnel, c’est de tenter de poursuivre mes travaux de recherche sur la rationalisation du long terme sans en négliger la portée opératoire. D’où un niveau portant davantage sur l’utilité publique, c’est de produire un regard sociologique qui soit en mesure de répondre à la fois à des questionnements disciplinaires, mais aussi à des problèmes sociétaux : relier les urgences présentes à la définition des horizons temporelles (biodiversité, santé physique et mentale, accès aux services…). Je ne fais personnellement aucune dichotomie entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée (surtout en sociologie) ; cette frontière habituellement tracée me semble en réalité très artificielle.

Que représente pour vous le Forum urbain ? Que vous apporte-t-il en tant que doctorant ?

Pour moi, le Forum urbain représente avant tout une interface entre la communauté scientifique et les acteurs du territoire puis dans un second temps, une tentative de constituer une « communauté » locale sur les études urbaines. Les jeunes chercheurs ont particulièrement besoin de rencontrer des professionnels de nouer des liens avec d’autres chercheurs que ceux de leurs labos d’origine pour trouver leur place et faire fructifier leur travail ; le Forum urbain peut y contribuer. Il peut aussi créer des liens entre les chercheurs d’une même communauté : cela permet de se rencontrer et d’échanger des idées, de façon simple et conviviale. Il a donc un rôle très important de structuration des réseaux locaux et nationaux notamment par son inscription dans les programmes d’analyse territoriale initiés par le PUCA.

Par exemple, en 2017, avec quelques chercheurs nous nous étions investis dans le comité scientifique de la démarche des Ateliers Bordeaux Inno Campus. L’idée était de contribuer à une démarche participative en apportant un regard scientifique, dans le respect des dynamiques collaboratives de ces groupes de travail.

Quelles sont vos activités en dehors de la recherche ?

Je profite des charmes du littoral et de l’estuaire, je jardine et j’essaie avant toute chose de ne pas négliger les moments avec mes amis ; c’est une soupape pour sortir un peu de son travail et c’est important de prendre le temps de façonner de nouveaux souvenirs. L’écoute musicale est aussi très importante : elle rythme les pensées et est très inspirante pour la vie de l’esprit ! Au niveau lectures, je relis actuellement des contes de sages du Japon, qui ont une grande portée philosophique et des romans d’anticipation (Herbert, Van Vogt, Palmer…). La relecture de quelques morceaux choisis de L’imagination symbolique de Gilbert Durand entre quelques Corto Maltese ouvre également au voyage immobile !

Comment vous définiriez-vous en trois mots clés ?

Curieux : il faut savoir entretenir les plaisirs de la découverte et accepter que s’ouvrir à d’autres approches disciplinaires, à d’autres méthodes de travail ne se fait pas sans un certain inconfort initial.

Dispersé : cela peut être très fructueux pour tester des corrélations novatrices entre certains éléments, mais cela peut aussi compliquer les choses lorsqu’il s’agit ramasser les analyses dans une réponse audible sans en négliger l’ouverture à d’autres questionnements.

Déterminé : cela n’a pas été évident d’amorcer un nouveau virage professionnel, mais quand j’ai une idée en tête, je la suis ! Après, la détermination ne fait pas tout…il faut avoir la chance qui va avec !

Quelques travaux disponibles en ligne :
● [article] Integrating ecological networks modelling in a participatory approach for assessing impacts of planning scenarios on landscape connectivity, Landscape and Urban Planning Volume 209, May 2021.
● [article] Regards interdisciplinaires pour une meilleure adaptation territoriale aux changements climatiques. Natures Sciences Sociétés, 2(2), 2019.
● [article] Sociologie et recherche inclusive : prospective collaborative pour un agenda de recherche sur l’eau, Sociologies pratiques, avec Vincent Marquet, Denis Salles Dans 2018/2 (n° 37).

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